C.R. DE LA JOURNEE d’ETUDE du 4 juin 2010 : HISTOIRE des FAMILLES VERRIERES
La journée d’étude s’est déroulée en deux temps :
- celui des échanges et des communications, en matinée, à la Galerie Colbert de l’INHA, dans les locaux mis à disposition avec l’aide attentive de Michel Hérold ;
- l’après-midi aux Archives Nationales, une présentation de fonds intéressant les verriers et l’histoire du verre en général, commentée par Ghislain Brunel, conservateur en chef aux Archives Nationales, avec les compléments de Michel Philippe sur le choix des documents.
L’idée générale de cette Journée était de permettre d’évoquer l’histoire des familles verrières sous un regard scientifique, en confrontant divers « regards » sur l’histoire, le comportement et sur le mythe que représentent ces familles dans l’histoire industrielle, économique et sociale, et en mettant en avant l’apport des documents d’archives pour en permettre une meilleure compréhension.
La matinée a réuni 22 participants, à savoir des membres de notre association Verre & Histoire, des anciens de Saint-Gobain et des milieux verriers (5), des historiens de l’art (5), des historiens de la verrerie (5) et des scientifiques (ethnologue, historienne). L’après-midi, plus conviviale, a permis à 14 personnes de suivre les brillantes explications de Ghislain Brunel autour de documents originaux.
La table-ronde éclaire d’un nouveau jour l’appréhension du verrier en tant qu’élite économique et sociale et permet de battre en brèche un certain nombre d’a priori suscités ou ressuscités aux XIXe et XXe siècles, en vue de mettre en valeur un certain nombre de familles de verriers. Cette notion d’élite sociale, telle qu’on la considère aujourd’hui, afin de protéger les privilèges de fabrication du verre, paraît ainsi plutôt récente. Le fonctionnement initial de certaines verreries, protégées par des administrations, par des privilèges… et par des réseaux familiaux évidents, n’a jamais signifié la fermeture de ces familles à d’autres influences techniques ni à des ouvertures. Stéphane Palaude est le premier à confirmer cela à partir des familles. Il s’agit en fait d’éclairer sous un jour différent ce que l’on appelle le privilège de la noblesse verrière, c’est-à-dire le droit que les verriers se réservaient entre eux de former de futurs verriers en ne recrutant qu’au sein de leurs familles. Au vu de ce qui a été écrit par Corine Maitte sur les verriers italiens, un constat identique dans le Hainaut se dresse : compte tenu de la multiplication des établissements verriers, il est impossible que la profession n’ait pas recouru à un recrutement plus large, hors limites familiales, pour pourvoir en suffisance le nombre de postes de soufflage créés. Certes, il y a bien eu recours à une forte immigration, mais de cette immigration n’est-il pas né un mythe : le privilège de la noblesse verrière. En Avesnois-Thiérache où œuvrent surtout des verriers en bouteilles originaires du bassin de Charleroi lors de la création des nouveaux établissements, il semble que ces verriers aient profité de la situation économique et du besoin vital des maîtres de verreries dans la dextérité des hommes qu’ils emploient pour imposer un recrutement intra-familial poussé. « Étant donné que ce privilège, qui n’a rien de commun avec les anciennes pratiques nées de la Charte du Spessart par exemple, a été créé ex nihilo et que les verriers concernés ont tenté de justifier par la suite, il paraît intéressant de le soumettre à la question de l’existence-même d’un tel privilège, privilège repris dans la littérature dès le milieu du XIXème siècle, mais souvent sans fondement juridique. » D’une certaine manière, cette version est confortée par Michel Philippe, lorsqu’il effectue une rétrospective de l’histoire de ces familles. Il n’y a pas de système, rien n’est écrit à ce sujet. Si certaines familles bénéficient de privilèges, la condition des verriers n’est pas écrite : nombre de verriers sont de pauvre condition sociale ou fiscale. Les privilèges concernent quelques associations, quelques réseaux, mais ils ne sont pas définitifs et pas exhaustifs. Corine Maitte va un peu plus loin dans le fonctionnement des familles, à travers les exemples d’Altare. Ces familles, dans leur exode, maintiennent cependant des liens étroits avec la ville d’Altare. Dans ce cas, la reconnaissance communautaire l’emporte même sur celle de la famille. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que 16 familles verrières seront considérées comme faisant partie de la communauté, avec le droit de porter un blason. Ces blasons, Michel Philippe les évoque aussi lorsqu’il présente les fonds d’Hozier. Le droit de porter un blason est en effet récognitif de l’adhésion d’un verrier ou de sa famille à la noblesse censée distinguer un certain nombre de familles verrières privilégiées. Une enquête très complète est nécessaire dans le but de définir l’appartenance ou non du verrier à la condition noble, censée à l’époque moderne distinguer les verriers des non verriers…. Jean-François Michel tente à son tour de démystifier tout cela, à partir de l’exemple des verriers de la Vôge lorraine. Il apporte des éléments concrets sur la marque apportée par les verriers aux sites verriers qu’ils ont occupés. Il évoque ainsi la présence verrière de la famille Thysac dès le XIIe siècle en Lorraine. Sans aller, selon nous, jusqu’à remettre en cause le caractère d’origine bohémienne en Lorraine de cette famille, et peut-être celle d’autres familles – à l’exception des Hennezel qui se revendiquent ouvertement de la Souabe – cela permet de dissocier en tout cas leur venue simultanée en cette région, même si elles ont bénéficié ensemble de privilèges au milieu du XVe siècle. Seules des études ciblées sur les familles permettront d’avancer en ce domaine… mais ce mythe a aussi du mal à survivre….
Le coup de grâce à la notion de familles verrières élitistes est apporté par l’ethnologue Noël Barbe. A partir de l’exemple contemporain de mise en valeur de deux sites industriels franc comtois et alsacien il remet en cause la notion de « mémoire familiale » verrière telle que revendiquée aujourd’hui. La promotion de ces deux sites industriels fait appel, en tout cas à La Rochère, au savoir-faire et à sa promotion sous forme de sauvegarde, mais elle n’associe pas celle-ci à une ou à plusieurs familles censées l’avoir initié auparavant en ce lieu. En ce sens, elle paraît sonner le glas d’une certaine conception de la verrerie familiale, d’origine ethnique, associée à un site ou à une zone de production verrière déterminée.
Cette réunion, même en petit comité, a permis d’aborder des thèmes presque tabous parce qu’ils relèvent parfois de la sphère privée et parce qu’ils n’intéressaient pas vraiment les historiens spécialisés jusque-là : aspects rébarbatifs, accessibilité aux sources…. Tout cela paraît un peu dérisoire alors qu’il s’agit d’aller chercher les archives des maîtres-verriers, des ouvriers et de tout le personnel s’activant autour ou à proximité des fours.
Alors, pourquoi ne pas élargir ce genre de thématique à une réunion plus importante encore… et toute aussi conviviale ? L’ensemble de la journée ouvre aussi la perspective de projets de fond sur l’inventaire des archives des familles verrières.
Michel Philippe