Les médaillons à incrustation de verre de la Sainte-Chapelle : aboutissement d'une série d'« innovations »
Sophie Lagabrielle
Conservateur en chef, Musée de Cluny, musée du Moyen Âge, Paris (France).
Repérer et suivre les innovations au cours du Moyen Âge n'est pas chose aisée. Les commandes artistiques peuvent cependant servir de révélateurs de la maîtrise et des progrès accomplis dans la technique du verre (fabrication, production). Au terme d'une longue évolution, l'art des incrustations qui s'est épanoui à Byzance à partir du VIe siècle, qui a été reproduit par l'Italie (XIe-XIIIe siècles), connaît dans le deuxième tiers du XIIIe siècle, dans le cadre du royaume de France expert en matière de verre plat, un développement inédit. Les yeux tournés vers Byzance, leur modèle, maîtres d'œuvre et peintres-verriers associés conçoivent à Bourges, à Saint-Denis, à Royaumont, d'ambitieux meubles liturgiques ou funéraires incrustés de verre. Pour le roi, à la Sainte-Chapelle, ils en viennent à proposer des médaillons tapissés de verre et relevés de « broderies d'or », directement fichés dans la maçonnerie. Le projet fait appel au meilleur de la production verrière et de ses applications (limpidité du verre, dimension maximale des pièces de verre plat, art de la découpe). Or, le projet se montre si contraignant dans sa mise en œuvre qu'il ne sera jamais reproduit à l'identique.
Medallions with inset glass at the Sainte Chapelle: The fruit of a series of “innovations”
To uncover and follow innovations during the Middle Ages is no easy task. However art commissions can reveal themselves as visible proof of the mastership and progress achieved in glass techniques (fabrication, production). At the end of a long evolution, the art of inset glass which flourished in Byzantium starting in the 6th Century, reproduced in Italy (11-13th Centuries), knows unprecedented development in the second third of the 13th Century, in the setting of the kingdom of France, expert in flat glass. With eyes turned towards Byzantium, their model, craftsmen associated with decorative glass master conceive in Bourges, Saint-Denis, Royaumont, ambitious liturgical or funeral furniture inset with glass. At the Sainte-Chapelle, they design for the king medallions coated with glass and ornamented with golden embroideries set directly in the masonry. The project relies on the finest glass production and its applications (clear glass, very large dimensions of flat glass, the art of cutting). However the work proves so difficult in its implementation that it will never be replicated.
Introduction
Appliquées sous l'Antiquité pour le pavage de sols ou le décor des parois murales, les incrustations connaissent un déploiement luxueux à Byzance, bientôt imité des Croisés (XIe-XIIe siècle). Durant le deuxième quart du XIIIe siècle, le royaume de France met au point quelques formules expérimentales. Sans insister sur les origines de ces compositions ornementales, il nous semble intéressant de faire apparaître combien, à la suite d'innovations successives, souvent infimes, la Sainte-Chapelle représente l'émergence d'un unicum d'un haut degré de raffinement.
Pour une technique qui, dans le détail se présente polymorphe, il convient de définir notre terrain d'étude. En effet, l'art de l'incrustation comprend aussi bien le travail des petits cubes de pierre, ou opus tessalatum, destiné à la mosaïque, que l'opus sectile, qui suppose la juxtaposition de pièces de marbre ou de pierre, « coupées » à usage de pavements ou de murs1. Sont concernés la pierre, le marbre et, dans une moindre mesure, le verre, auxquels s'ajoutent l'or et l'argent.
De cette étude, nous avons exclu les mosaïques à agencement de tesselles (opus tessellatum) ainsi que les pavements de sol à incrustations de pierres (opus sectile) pourtant nombreux2. Si ces décors contribuent à créer un jeu de couleurs et de matières, ils ne sollicitent le verre que sous la forme de modestes éléments (parfois des remplois), sans réquisitionner de forces nouvelles de l'industrie verrière. Ne seront pas non plus abordés les décors de cabochons de verre inclus dans les peintures murales3, ou dans les reliefs4 qui constituent un sujet pour eux-mêmes. Bien que florissants, les décors à incrustations de mortier, de plâtre ou de mastics, n'ont pas plus été considérés. À Sainte-Sophie, ils prennent la forme de bandeaux de corniche en marbre, creusés et comblés de mastic (noir, rouge), un procédé créateur d'un bel effet de nielle en bichromie. Ce type de décor à incrustation de mastic a connu une grande fortune à Chypre, en Syrie puis en Grèce aux XIe et XIIe siècles. En Italie, il a trouvé une application de grande ampleur à Saint-Marc de Venise. Il a inspiré le décor des trônes épiscopaux d'Italie méridionale (Bari, Salerne…), les mobiliers liturgiques de Toscane ou les décors architecturaux de la France rhodanienne (Vienne, Lyon) jusqu'en Bourgogne (Autun, Nevers…)5, mais le verre y est absent.
Rappelons que c'est le terme innovatio (dans le sens de « renouvellement »), tiré du bas latin du XIIIe siècle, qui a donné naissance au terme d'« innovation » (dictionnaire de l'Académie française). Cependant, à l'époque médiévale, l'innovation n'est pas en soi une perspective. Les temps antérieurs sont alors dotés d'une trop grande aura. Il importe plutôt aux hommes du temps d'ancrer leur production dans la continuité d'un modèle prestigieux, comme on s'inscrit dans une lignée d'excellence. Pour autant, l'exploration technique contribue à la quête de beauté si prégnante au Moyen Âge.
1. La technique byzantine et son transfert en Italie
VIe-XIIe siècle)
Les modèles byzantins et leur permanence (Fig. 1. Byzance, Saint-Polyeucte, colonne incrustée d'améthystes et de pâtes de verre turquoise, VIe siècle, Istanbul, musée archéologique. © S. Lagabrielle.
Fig. 2. Byzance, Martyrion de Sainte-Euphémie, colonne incrustée, VIe siècle, Istanbul, musée archéologique. © S. Lagabrielle.
Du VIe au XIIe siècle – période ici considérée –, à Constantinople, les incrustations servent à l'embellissement des églises, sur les murs intérieurs, les sols et les mobiliers liturgiques. Afin de s'attribuer le crédit de la grandeur impériale antique, Byzance en a adopté les principes décoratifs. Nourrie des apports des autres arts d'Orient, anciens et nouveaux, elle en a renouvelé la déclinaison jusqu'à exceller dans cet art de luxe.
Dans l'église Saint-Polyeucte, que construit, en 524-527, Anicia Juliana, le plus vaste édifice de culte de la capitale au moment où Justinien monte sur le trône, se trouvait l'un des exemples de décors d'incrustation les plus aboutis. Les colonnes de marbre conservées au musée archéologique d'Istanbul (fig. 1) en attestent, avec leurs cavités géométriques de plutôt petit module, dans lesquelles sont insérées, soit des pierres (améthystes), soit des pâtes glaçurées (de teinte turquoise)6. L'effet chatoyant de la pierre semi-précieuse associée à la glaçure luisante de la terre vernissée procure un effet d'une préciosité extrême. Le parti n'a pas été unique, il a été décliné à plusieurs reprises au cours du VIe siècle sous différentes formes géométriques (cercle, carré, losange, triangle…). À Constantinople même, on peut citer Saint-Euphémie sur l'Hippodrome, ou Saint Jean Podromos de l'Hebdomon7 (fig. 2). Dans ces exemples, la terre cuite, quand elle est utilisée, a été vitrifiée ; le verre pour lui-même y est absent8.
Le décor de Saint-Polyeucte reste longtemps une référence. Dans l'église du monastère Lips (Fenari Isa Camii), construite en 907, l'icône de Sainte Eudoxie fait comprendre la force du lien qu'ont entretenu bon nombre d'œuvres de Constantinople avec l'art du VIe siècle. Creusée et complétée de pierres de couleur, la plaque de marbre noir témoigne de l'indéniable virtuosité des lapidaires byzantins (fig. 3)9. Un autre édifice s'inspire plus directement encore de l'église d'Anicia Juliana et des grands ensembles de la sculpture architecturale du VIe siècle, c'est le palais du Boucoléon. Construit par l'empereur Michel III (842-867), agrandi et enrichi, celui-ci atteint l'apogée de sa splendeur au Xe siècle. Deux frises conservées au musée d'Istanbul en proviennent. L'une d'elles présente, sur vingt centimètres de hauteur, une série de médaillons circulaires bleus en céramique glaçurée ou en pâte de verre10 (fig. 4), une deuxième, d'agencement plus complexe encore, ne montre que des cavités vides, réservées à des incrustations plus petites, et peut-être plus précieuses (fig. 5). Les Croisés en ont été subjugués. Vers 1140, avec ses plaques de chancel et ses piliers à bandes verticales incrustées, l'iconostase du Pantocrator11 (Istanbul) a lui aussi été conçu dans l'idée de reproduire l'effet chatoyant des grands ensembles du VIe siècle. Mais les Chrétiens d'Occident se sont déjà emparés de cette technique.
Fig. 3. Byzance, église du monastère de Constantin Lips, Sainte Eudoxie, dalle figurée, fin Xe-1re moitié du XIe siècle, Istanbul, musée archéologique. © S. Lagabrielle.
XIe-XIIe siècle)
Un transfert de technologie sans innovations notables (Les techniques décoratives byzantines ont été imitées dès l'époque romane. En Italie, où se superposent l'héritage de la Rome antique et les influences islamiques, le terrain s'est montré particulièrement favorable. Au Mont Cassin (milieu XIe siècle), à Venise (XIe siècle) ou à Palerme (fin du XIIe siècle), comment s'est fait le transfert de cette technique et a-t-il été source d'innovations notables ? En un mot, que nous apprennent ces trois expérimentations ?
Dans le cadre des travaux de son abbaye, de 1058 à 1077, date de la consécration, l'abbé Didier n'a pas hésité à convoquer des architectes et des artistes et artisans de divers horizons. Dans sa Chronica Monasterii Casinensis, Léon d'Ostie, témoin oculaire des travaux (ou de la consécration), rapporte que depuis cinq cents ans, on avait perdu la technique de la mosaïque et de l'incrustation, et que, pour y pallier, le futur Victor III a fait acquérir – ou prélever – des matériaux et des marbres à Rome. Mais il a surtout dépêché à Constantinople des ambassadeurs pour qu'ils engagent des maîtres-mosaïstes12. C'est grâce à l'arrivée de ces spécialistes étrangers qu'il a pu s'approprier ce savoir-faire perdu.
Devant les destructions du Mont Cassin, plus qu'aucune autre construction romane de la péninsule, c'est Saint-Marc de Venise qui témoigne encore aujourd'hui de la réussite de ce transfert technologique. En effet, les doges, Domenico Contarini (1043-1071) et Domenico Selvo (1071-1084), se sont appuyés sur des artisans grecs. Ces derniers n'ont pas travaillé de façon isolée. Ils ont été associés à un corps de métier local qui a démontré une grande aptitude à assimiler les nouveaux procédés. La qualité du rendu et l'incroyable variété des motifs décoratifs de la basilique attestent en effet de la maîtrise rapide de la technique d'incrustation par les Vénitiens. Une telle réussite corrobore la facilité de ce transfert technologique « à l'identique » et justifie la naissance d'un important mouvement de renovatio artistique dans le Nord de la péninsule italienne. Au fur et à mesure du temps, ces applications se teinteront de caractéristiques locales13.
Dans ces deux premiers cas, le désir délibéré d'emprunts, adossé à une véritable opération de débauchage de spécialistes lointains, a porté ses fruits, sans donner lieu à d'innovations notables. Par le vol d'œuvres (tradition dite « da gazza ladra » ou « de la pie voleuse »), les Vénitiens sont cependant devenus une véritable source d'inspiration pour les artistes italiens.
Fig. 6. a) Constantinople, ancienne basilique Sainte-Sophie, pavement, VIe siècle ;
b) Palerme, chapelle palatine, 2e tiers du XIIe siècle ;
c) Rome, église Santa-Maria-in-Aracoeli, pupitre à épître, fin XIIe-début XIIIe siècle, Rome, musée du Capitole ;
d) Rome, cloître de Saint-Jean-de-Latran, fin du XIIe siècle.
© S. Lagabrielle.
Les abbés et les doges n'ont pas été les seuls à pratiquer l'« achat » de spécialistes étrangers. Un autre exemple peut être pris plus au sud. Longtemps, les historiens de l'art ont pensé qu'en Sicile, le chantier de la cathédrale de Monréale, construite aux portes de Palerme par l'empereur Guillaume II (1166-1189), avait été directement pris en charge par des Byzantins (fig. 6). Il n'en est rien. L'étude de B. Sulamith (2010) prouve qu'en cette fin du XIIe siècle, il n'a pas été besoin de faire appel à des maîtres « grecs ». Il a suffi que l'empereur s'appuie sur le savoir-faire des mosaïstes locaux nourris de culture byzantine, à qui, une génération auparavant, Roger II avait confié la construction et la décoration de sa Chapelle palatine de Palerme (1130 et 1154)14. L'assimilation est ici complète, la technique parfaitement maîtrisée, mais, en cette fin du XIIe siècle, l'art palermitain fait plutôt preuve de conservatisme. Ainsi, une technique peut-elle être transplantée sans impliquer d'évolution remarquable. Ni à Venise ni à Palerme, la superposition de l'art importé à des traditions locales n'a fait surgir d'innovations immédiates ou véritables.
XIIe-XIIIe siècle)
Innovation par la création de modules de série : les incrustations cosmatesques (finSelon Alberti, l'art des incrustations ou « crustatio » suppose l'emploi des marbres de couleur15. Sur le marbre blanc, contrastent le marbre noir, la serpentine verte et rouge, un jeu coloré très semblable à la déclinaison byzantine la plus sobre. À Rome, les ateliers dits cosmatesques se sont justement spécialisés dans la combinaison des pierres dures à petits modules, un art de l'incrustation de type sectile inspiré à la fois des décors byzantins, du prestigieux pavement du Mont Cassin, et redevable des traditions locales. Décliné en décors de pavage, de cloîtres, de mobiliers liturgiques ou funéraires, horizontaux ou verticaux, cet art est fragile parce qu'il intègre de la céramique lustrée et du verre, le plus souvent doré (fig. 6)16. Employé sous forme de baguettes d'émail pré-découpées juxtaposées, aux tons chatoyants, le verre crée des effets nouveaux, bien que de dimensions encore très menues. À Ravello, par exemple, les analyses de composition récemment menées sur les matériaux décoratifs des ambons, celui de l'Épître, antérieur à 1130, ou celui de l'Évangile, daté de 1272, démontrent que les couleurs ont été apportées, soit par des éléments de verres opacifiés à l'antimoine, soit par de la céramique, parfois lustrée17. Avec un apport limité de verre, l'incrustation est devenue une caractéristique de l'Italie des XIIe et XIIIe siècles (Saint-Jean de Latran, Saint-Paul-hors-les-murs, Monreale, Bitonto, la Toscane…). Dans le royaume de France, cette déclinaison a touché la Provence, la vallée rhodanienne, jusqu'à la Bourgogne18.
Les incrustations de type « préfabriqué » atteignent Saint-Denis, près de Paris, à la fin du XIIe siècle. Sept siècles plus tard, Dom Doublet décrit le retable de la chapelle Saint-Firmin, actuellement chapelle Saint Eustache, « composé d'une arcature feuillue soutenue par des colonnettes engagées cylindriques et prismatiques alternées (…), divisées par des compartiments très fins simulant des mosaïques, assez semblables à celles qui couvrent les colonnettes de Saint-Jean-de-Latran et de Saint-Paul-hors-les-murs à Rome ». Viollet-le-Duc en a proposé un dessin19.
Dans toutes ces réalisations, le verre n'apparaît que comme complément subsidiaire à une marqueterie de pierres plus précieuses. De petit module cubique, calibré, il n'est pas utilisé pour ses capacités de transparence et sert le plus souvent à porter l'or.
2. Les expérimentations dans le royaume de France antérieures à la Sainte-Chapelle
L'autel de Saint-Guilhem-le-Désert : expérience unique ou innovation pilote ?
Qu'il soit mis en œuvre par des Byzantins ou des Italiens, l'art de l'incrustation repose sur un savoir-faire de marbriers ou de lapidaires. Or, à la fin XIIe-début XIIIe siècle, l'art de la mosaïque n'est plus aussi vivant dans le royaume de France. Pour la mise en œuvre des incrustations, il a fallu faire appel à d'autres spécialistes.
Fig. 7. Saint-Guilhem-le-Désert, autel, Théophanie et Crucifixion, bordure à incrustations de verre, 1er quart du XIIe siècle (?). © Daniel Kuentz.
Le cas de l'autel dit de Saint-Guilhem, actuellement conservé dans l'absidiole sud de l'abbatiale, ancien autel majeur présumé, est particulièrement intéressant (fig. 7). Il représente, hors emploi de tesselles ou d'appareil sectile, l'un des rares et des plus précoces exemples de mobilier liturgique à incrustation de verres colorés conservés sur le sol français. Par malheur, il ne se présente plus dans son état original et reste difficile à dater. Il a été démonté en 1679, et remonté, pour apparaître de nos jours comme un coffre dont les dalles de marbre blanc dressées verticalement développent une double image christologique. Les deux scènes, une Théophanie et une Crucifixion, ont été taillées en réserve selon le principe des reliefs à deux niveaux de plan. Lors d'une opération de restauration, en 1925, du mastic bleu a été appliqué dans les décaissés20.
À l'origine, les bordures de rinceaux qui ourlent le devant d'autel étaient incrustées de verres. Évidées sur une profondeur de 3 à 4 centimètres (quand elles ne dépassent pas 1 à 1,5 cm dans les cas d'incrustations de mastic), les cavités avaient été comblées par de petits morceaux de verre, chacun découpé et mis à la forme21. Ces verres sont de couleur verte et rouge (fig. 8) ; un seul insert de verre bleu forme l'auréole du ressuscité agenouillé au pied de la croix22. Basé sur un traitement en méplat, l'effet général se conforme au rendu lisse des œuvres byzantines et italiennes. Mais le recours au verre coloré découpé en fonction des réserves chantournées engendre une innovation intéressante.
La datation de cet autel reste problématique aussi les discussions qui divisent les spécialistes méritent-elles d'être exposées ici. Dans quelle période situer la réalisation de la face antérieure de cet autel ? Jusqu'alors estimée de 1138, cette datation ne fait pas l'unanimité. Comparant la mise en page et le concept artistique de l'autel de Saint-Guilhem à l'œuvre d'Antelami dans la cathédrale de Parme (1178), X. Barral i Altet considère l'autel pyrénéen comme une réalisation toscane des années 1170-1180. Il invoque l'expression d'un naturalisme expressif – parallèle à l'art des émaux limousins – et la possibilité de contacts avec la sculpture provençale des années 118023. L. Bégule, pour sa part, a proposé de le dater plutôt de la fin du XIIe ou du début XIIIe siècle24. En 2004, après une étude comparative détaillée sur l'iconographie, E. Garland a conclu à une datation des deux dernières décennies du XIIe siècle, ajoutant « sans pouvoir exclure une réalisation dans la fourchette, plus large 1160-1220 »25. Quant à G. Valenzano, elle associe l'autel de Saint-Guilhem aux exemples tardifs toscans de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècles où le marbre blanc des panneaux est agrémenté de marbres de couleur, à dominantes rouge et verte26. Qu'en déduire ?
À les observer, les feuilles de vigne des bordures, remarquables par la fluidité de leur dessin et leur naturalisme, rappellent les œuvres byzantines admirées par les Croisés (fig. 8). On pense par exemple aux rinceaux très naturels des piliers dit de Saint-Jean-d'Acre, en réalité de Saint-Polyeucte, placés par les Vénitiens devant la façade méridionale de leur basilique de retour de Constantinople, en 120427. De façon générale, la liberté et la fluidité des frises de Saint-Guilhem s'approchent plus de l'ornementation marginale de Bitonto (1229) que de Parme (1178), et se présentent comme un précédent aux expériences du gothique rayonnant du Nord de la France. Une datation du premier quart du XIIIe siècle ne semblerait pas absurde. L'histoire de la fondation du monastère de Gellone repose sur le cadeau fait par Charlemagne de l'une des plus précieuses reliques de la Chrétienté, celle de la Croix. Important site de pèlerinage, Gellone devenu Saint-Guilhem a connu des phases de construction dans les années 1175-1200 (cloître), et au début du XIIIe siècle (salle capitulaire) et les dépenses ont alors été considérables. Que le précieux autel-reliquaire ait été offert autour de 1220, dans un temps nourri de Croisades et dans un contexte de valorisation des reliques du Christ, peut-être par le roi lui-même28, ne paraît donc pas impossible.
L'autel de Saint-Guilhem se trouverait alors à une charnière entre l'interprétation italienne de l'art byzantin et son traitement sur le sol de France. La plupart des spécialistes y voient le transfert d'une technique d'outre-monts29. Certains parlent d'une adaptation par des mains françaises d'une technique byzantine, via ou non l'Italie30. Pour notre part, outre le remplacement du marbre par un marbre-albâtre, certains arguments techniques de G. Valenzano nous semblent troublants. Pour une technique toscane, comment expliquer l'absence de trous de trépan pour dégager les cavités, la relative profondeur des logettes et la substitution des marbres de couleur – ou des mastics – par des verres plats, technique dans laquelle les Français sont perçus comme des experts (cf. le moine Théophile31), enfin, le recours au bleu ? Il manque une analyse de composition des verres pour en déduire leur origine – ou leur réemploi –, mais, dors et déjà, la technique se définirait comme plutôt française.
On retiendra la nouveauté de son parti. L'usage du verre, exclusif (?), sa couleur bleue, l'impossibilité de traitement de série sont autant de critères de renouvellement de l'art des incrustations.
Les expériences dans l'entourage royal (1230-1260) : dépassement du modèle
Alors que depuis la IVe Croisade (1202-1204), les liens avec Constantinople se sont resserrés, le désir d'appropriation des modèles artistiques byzantins combiné à une maturité du travail du verre plat dans le royaume de France ouvre l'opportunité d'adapter la technique des incrustations à de nouveaux matériaux.
Une première remarque s'impose : c'est l'art des incrustations de Constantinople dans sa déclinaison la plus ambitieuse qui séduit le milieu décisionnel du royaume. Une seconde : que ces œuvres soient mobilières, à déclinaison liturgique ou funéraire, qu'elles concernent plus exceptionnellement l'art monumental, leur chronologie se réduit au règne de saint Louis. Édifiées à Bourges ou à Saint-Denis (retables), à la Sainte-Chapelle (décor mural) ou à Royaumont (tombes commandées par le roi), chaque réalisation se présente comme autant de palier d'une série d'expérimentations en cours.
Fig. 9. Bourges, cathédrale, jubé, Crucifixion, incrustations de "faux-émaux", milieu du XIIIe siècle. © S. Lagabrielle.
Fig. 10. Saint-Denis, ancienne abbatiale, à l'origine à Royaumont, tombe de Philippe Dagobert, tranche à incrustations (peu après 1234). © S. Lagabrielle.
À Saint-Denis, l'abbé Eudes Clément († 1247), qui bénéficie du soutien de Louis IX, a pris l'initiative de travaux de reconstruction – partielle – de l'abbatiale, à partir de 1231. Compris dans ce cadre, deux ensembles liturgiques méritent l'examen, le retable de saint Hippolyte et celui de la chapelle Saint-Eugène, plus tardif. C'est le premier d'entre eux, installé au moment du transfert des reliques de saint Hippolyte (vers 1236-1237), dans la chapelle éponyme nouvellement fondée, qui nous intéresse déjà32. Conservé au Louvre, le retable, est formé d'une dalle sculptée agrémentée en bordure de quarante-huit logettes circulaires et rectangulaires, de nos jours, vides de tout contenu. À observer le jubé de Bourges (fig. 9), il se pourrait que les cavités circulaires aient été destinées à des disquettes de verre (bleu ?), et les rectangles allongés, réservés à l'insertion de plaquettes en faux-émail à motif répétitif, géométrique, floral ou héraldique. La réalisation des dits « émaux » suppose l'application, sur la chaux, d'une feuille d'or ou d'une peinture à l'ocre, agrémentée d'un motif, le tout recouvert d'un verre incolore. Visible à travers le verre, la peinture crée un « pseudo-églomisé » ou faux-émail qui serait ici, si tel est le cas, le plus ancien exemple de ce genre imaginé en France.
À cette date, peu après 1234, le tombeau de Philippe Dagobert, autrefois à Royaumont, et de nos jours très repris, a reçu le même type d'inserts de verre (fig. 10)33. De format circulaire, ces derniers auraient-ils été plutôt monochromes, éventuellement pourvus d'un décor de surface34 ?
De ces deux exemples, on retiendra l'utilisation de verroteries en ornementation marginale qui, glissées de façon répétitive, dans les creux du calcaire, imitent les disques de pierre ou de pâte vitrifiée vus à Byzance (comme à Rome).
Une même influence, deux types d'interprétation : l'ambon de Bitonto, le jubé de Bourges
Dans les deux exemples dionysiens précédents, l'apport du verre reste cantonné à la bordure extérieure, hors de l'espace sculpté. À Bourges et à Bitonto, c'est l'intégralité du fond de la paroi du meuble liturgique sculpté qui se couvre d'incrustations.
Fig. 11 : Bitonto, cathédrale, ambon, scène de Remise de sceptre, porte la date de 1229. © Marie-Hélène Cingal.
Qu'en est-il de Bitonto, près de Bari (Italie méridionale, fig. 11) ? L'ambon qui y est édifié précède l'expérience berruyère. Signée du prêtre Nicola et datée de 1229, premier exemple de ce type dans les Pouilles, l'œuvre puise aux mêmes sources d'inspiration byzantine que Bourges. Signe de la force du prestige – impérial – de Byzance, la riche ornementation incrustée et polychrome a été mise au service d'une singulière scène de Remise de sceptre à l'intention de l'empereur Frédéric II35. Bien que déplacé, remonté et très remanié en 1720, l'ambon garde son attrait. À l'imitation du Boucoléon, les alvéoles du fond, liées par un lacis de rinceaux, ont été incrustées de rondelles de marbre. Sur la chaire contemporaine qui lui fait face dans la nef, les compartiments curvilignes retiennent en leur centre un émail translucide de couleur brune, qui révèle par transparence un motif sous-jacent de quadrupèdes ou d'oiseaux. Comme les émaux cloisonnés byzantins, de petites dimensions et peu nombreuses, les plaquettes exploitent les capacités de transparence du verre. C'est une nouveauté dans l'Italie méridionale. À Ravello ou à Sessa, près de Capoue, à la fin du XIIe siècle, on lui avait préféré des fragments de bacini sarrasins ou siciliens36.
À Bourges, la datation du jubé reste incertaine. Soit, celui-ci a été installé avant 1237, date à laquelle est cité le pulpitum de la cathédrale (pupitre réservé à la lecture des textes), soit après 1240 (selon des critères stylistiques). Redécouvertes en 1850, les treize arcades du jubé reposaient sur un bandeau polychrome sur lequel s'adossaient les statues des douze Apôtres, et que dominait un cycle de la Passion du Christ. Les incrustations qui le couvrent sont ici combinées à des figures en haut-relief et en ronde-bosse, œuvres des meilleurs sculpteurs du temps, alors en pleine possession de l'art du relief37.
Fig. 12 : Bourges, cathédrale, jubé, Apôtre sur fond de médaillons à incrustations, après 1240. © S. Lagabrielle.
Creusée d'un fond d'alvéoles incrustées de verres polychromes, la paroi en arrière-plan étincelait (fig. 12). De format choisi (cercles, losanges incurvés, carrés, rectangles) et de dimensions réduites, les verres sont, soit de couleur bleue, soit incolores38. Les verres incolores, c'est-à-dire verdâtres, laissent transparaître une dorure sous-jacente à motifs héraldiques ou ornementaux. Les médaillons de verre bleu avaient peut-être reçu, en face externe, un fin dessin à l'or, comme on le verra à la Sainte-Chapelle39. Mais, le jubé a subi une importante restauration en 1653. Les pièces de verre ont été remplacées par des « vers (sic) de France », c'est-à-dire des verres façonnés en plateaux40. Les couleurs, comme la couche ocre rouge passée autour des alvéoles, et les dorures de la paroi, ont été reprises. L'aspect actuel est malheureusement très tributaire de cette intervention.
Il est une évidence : Bitonto et Bourges se réfèrent aux décors entrevus par les Croisés dans le Boucoléon, dans l'enceinte du « Vieux » Palais de Constantinople (fig. 4, 5). C'est, semble-t-il, dans Sainte-Marie du Phare, l'église de la Theotokos, la chapelle palatine par excellence, lieu de conservation des reliques de la Passion, les plus précieuses reliques de la chrétienté, que les Occidentaux ont été éblouis par les marbres de couleur, par les mosaïques d'or et par l'autel incrusté de pierres précieuses et d'émaux41.
Or, la construction du jubé de la cathédrale reviendrait à Philippe Berruyer, élu sur le siège de l'évêché de Bourges en 1236, un proche du roi. L'implication du prélat expliquerait le haut le niveau de la commande et la très grande parenté entre les sculptures du jubé et celles de l'abbaye royale de Saint-Denis dans les mêmes années. Membre de la communauté dominicaine, Berruyer a-t-il bénéficié de la description émerveillée d'un de ses pairs, de retour de Constantinople (rappelons qu'à la demande royale, deux dominicains s'y sont rendus avec la mission de rapporter les reliques de la Passion)42 ?
Par rapport à cette référence commune, c'est Bitonto qui reste le plus proche du prototype d'origine. Imprégnées de culture byzantine et susceptibles de faire appel à des artisans mosaïstes (?) exercés de l'Italie méridionale, les Pouilles ont eu une meilleure compréhension du modèle d'origine. Les pierres dures locales ont permis une reproduction (quasi-?) à l'identique ; le recours des verres n'a été sollicité que pour simuler des bijoux posés en petites touches. Or, à Bourges, l'usage d'un calcaire à la place du marbre a permis aux sculpteurs d'amplifier le relief et d'atteindre à la monumentalité. Substitués à des matériaux précieux (marbres, pierres précieuses), les verres, d'une matière moins noble, ont offert une déclinaison plus scintillante. Si l'effet diffère, le jeu innovant de reflets apparaît convaincant. Il ne subsiste que la question du recours ou non à un paillon métallique. S'il a existé, l'artisan berruyer du XVIIe siècle ne l'a pas réintégré.
Cependant, entre Bitonto et Bourges, se situerait Saint-Guilhem-le-Désert, plus précoce que le jubé avec son emploi d'un marbre-albâtre, une matière dure en apparence mais facile à travailler. À Saint-Guilhem, le relief est traité en méplat (un réel archaïsme pour le royaume au XIIIe siècle), à Bitonto, en haut-relief, à Bourges, il atteint la ronde-bosse. À Saint-Guilhem-le-Désert, le jeu n'est pas de mettre en opposition des marbres durs entre eux mais de faire contraster la pierre, discrètement relevée d'or, et le verre. Si le relief en méplat rappelle le parti italien, les incrustations de verre ne suivent pas de formats standardisés. L'autel pyrénéen annonce les surfaces totalement miroitantes et colorées du jubé de Bourges et surtout des retables de Saint-Denis.
Saint-Denis, affirmation d'un procédé
De Bourges à Saint-Denis, du jubé au retable du Martyre de saint Hippolyte, la parenté d'exécution et la proximité du parti décoratif corroborent les liens forts entre les deux chantiers et l'attribution à une même équipe de sculpteurs43.
L'ensemble, retable et devant d'autel, sculpté dans le troisième quart du XIIIe siècle et placé dans la chapelle Saint-Eugène (ou Saint-Hilaire), reprend le principe du jubé de Bourges (fig. 13)44. Par suite de ce qui nous semble être percevable comme une – légère – évolution, le retable présente des cavités au format plutôt sophistiqué (octogone ou losange), une grande densité du champ d'incrustation et des effets de brillance plus soutenus. Serait-ce la conséquence d'une antériorité de Bourges par rapport à Saint-Denis ?
Le retable de la chapelle Saint-Eugène se présente comme un parallélépipède simple dont la paroi antérieure est consacrée à une Crucifixion, disposée entre la Vierge et saint Jean, l'Église et la Synagogue, des figures qui semblent en partie refaites. Son parement a été, comme à Bourges, préparé à l'ocre rouge. De couleur bleue, le verre est disposé sur l'ensemble du fond, et son éclat est décuplé par une feuille d'argent placée en couche sous-jacente. Ce fond de métal a-t-il, de même, existé et disparu à Bourges ou serait-ce une nouveauté dionysienne, une amélioration du parti ? Dans l'incapacité d'en juger, nous nous contenterons de relever que les incrustations dionysiennes, de dimensions modestes mais densément ordonnancées, sont plus présentes45.
Fig. 13. Saint-Denis, ancienne abbatiale, chapelle Saint-Eugène (ou Saint-Hilaire), retable et devant d'autel, 3e quart du XIIIe siècle, reconstitution de l'auteur.
Le retable avait pour pendant un devant d'autel à la surface entièrement miroitante, de nos jours conservé au musée du Louvre (fig. 13)46. Couvert de plaquettes de verres en losanges, recouvert d'un enduit rosé, le devant d'autel donne l'illusion d'une surface continue de verre. En sous-jacence, le verre laisse apparaître des motifs décoratifs (rosaces et aiglettes sur fond pourpre) ou héraldiques (Castilles, fleurs de lis) peints sur l'or. Les analyses ne font que confirmer un contexte très perturbé, mêlant des verres de différents types (verres en plateaux, verres en cylindre, verres industriels), soit au moins deux importantes campagnes de restauration dont une postérieure à 183047. Plus intéressante est la présence de carbonate de calcium (chaux) et d'huile de lin en couche inférieure48, car elle renvoie à la technique de la Sainte-Chapelle.
3. La Sainte-Chapelle : aboutissement du processus d'innovation
Un décor ambitieux
Fig. 14. Sainte-Chapelle, relevés, détails d'ornementation, © Médiathèque du Patrimoine et de l'Architecture, Ministère de la culture.
Édifiée entre 1241 et 1248, la Sainte-Chapelle a fait usage de deux types d'incrustations de verre. Comme le devant d'autel de la chapelle Saint-Eugène, la tribune, les statues d'Apôtres et l'ensemble du soubassement sont ornés de verre et de petites imitations d'émail, reconstitués par Viollet-le-Duc, mais il est difficile de savoir si tel était le cas au XIIIe siècle (fig. 14). D'après les cavités présentes, ce sont des disques de verre et des faux-émaux qui avaient été introduits au bas des robes des statues d'Apôtres49 (fig. 15).
Plus nouveau par rapport aux expériences dionysiennes et berruyères est le décor de quadrilobes du soubassement à figures de saints martyrs sur fond de verre (fig. 16). Assez détériorés ou refaits, les médaillons ont peu retenu l'attention, si ce n'est pour en étudier l'iconographie (Branner, 1968), en analyser la technique de peinture et de dorure (rapports scientifiques, 1851, 1980, 1992), ou la chronologie de leur restauration (Mairey, 1998). Or, il semble intéressant de s'appesantir sur les fonds, souvent, et à tort, dits « émaillés » car ils relèvent d'une technique très singulière.
Fig. 17. Paris, Sainte-Chapelle, plan de répartition des médaillons de verre, état et restauration. © S. Lagabrielle.
Sont concernés : les médaillons (trois par travée de nef, deux par travée de chœur), vingt-deux au nord, vingt-deux au sud, qui, établis sur une réserve en haut relief (boudin en orbevoie), proposent des figures peintes. La moitié des médaillons ont reçu un fond doré et guilloché, l'autre moitié un fond de verre bleu. Ce sont ces derniers qui nous intéressent (fig. 16). De grandes dimensions, ces quadrilobes atteignent 70 cm de diamètre, réservant 63 sur 64 cm à la surface interne vitrée (30 cm, autour des deux niches du roi et de la reine).
Ces médaillons ont subi deux grandes campagnes d'intervention, l'une en 1630, à la suite de l'incendie des combles de la chapelle, l'autre, entre 1853 et 1881, sous la direction d'Emile Boeswilwlad (1830-1896, fig. 17)50. D'après observation, les médaillons de la partie orientale auraient été repris au XVIIe siècle (fig. 18), et ceux de la partie médiane de la chapelle, restaurés au XIXe siècle (fig. 16) ; il ne subsiste donc que ceux de la partie la plus occidentale qui, non remaniés, offrent un état original, malheureusement très dégradé. C'est le médaillon de Saint Georges qui nous a permis de restituer la technique de réalisation dont ils ont fait l'objet (fig. 19-20).
Fig. 18. Paris, Sainte-Chapelle, mur nord, Martyre de sainte Lucie (restauration XVIIe siècle). © S. Lagabrielle.
Une technique sans précédent
Cette technique prolonge l'expérience de Saint-Denis. Boeswilwald liste les deux principales étapes de réalisation. Il explique que les verres ont été posés sur un lit de mortier de chaux « au moyen de paillons d'argent et collés au blanc de céruse », et qu'ils ont été relevés, sur la face externe des verres, de fins motifs à la feuille d'or51. Si l'on se fie aux observations faites sur le Retable de Westminster, mieux conservé, c'est effectivement un mordant au blanc de plomb fin (céruse) et à l'huile de lin qui a servi d'assise et permis de coller le verre, tandis que la dorure a été appliquée avec un liant à l'huile de lin52. Le médaillon du Martyre de saint Georges a conservé sa stratigraphie originelle : les feuilles d'argent dépassent sous les pièces de verre ; d'anciens motifs héraldiques de fleurs de lys (motifs de castille sur celui de Saint Jean Baptiste) restent visibles sur la face visible des verres (fig. 20)53.
La grande différence entre les décors de Saint-Denis et de Bourges et ceux de la Sainte-Chapelle réside dans la suppression des parois « champlevées ». Les cavités régulièrement et symétriquement creusées dans les précédents supports ont disparu. Sur le mortier encore mou, le verre a été posé de façon la plus jointive possible afin de combler intégralement l'espace qui subsiste entre les contours des figures et le tore interne du médaillon. Le résultat est un fond continu de verre qui donne l'illusion de s'étendre sur près de 70 cm de diamètre. L'effet devait rejoindre certains « tableaux » figuratifs de marbre entrevus à Byzance (Pantocrator), mais désormais l'arrière-plan est scintillant et relevé d'or.
Le renouvellement de la technique d'incrustation repose sur plusieurs données. La plus importante concerne la dimension des verres : quand à Saint-Denis ou à Bourges, la plus grande dimension d'une pièce est de 7,5 cm, dans le médaillon de saint Georges, les morceaux les plus longs font 28 cm. À cela s'ajoute le soin passé à la mise en valeur du matériau : l'insertion d'une feuille d'argent en couche sous-jacente en accentue l'éclat ; des finitions de « broderies d'or » en accroît la préciosité (fig. 16). De plus, le verre est associé non pas à de la sculpture mais à une réserve « champlevée » peinte.
Une technique très exigeante
On peut s'interroger sur la procédure de réalisation de ces œuvres. Pour les médaillons à fond de verre, plus encore que pour les médaillons peints, gaufrés et dorés, les interventions doivent s'enchaîner : préparation des zones d'encadrement de pierre, préparation du champ à orner par l'application d'un mortier à base de chaux et de blanc de plomb, deux étapes préalables suivies des réserves – par gravure ? – des zones à peindre et à « vitrer », puis de la peinture des figures (à base de lapis-lazuli, d'ocres rouge et jaune, de verts de cuivre et de feuilles d'or)54. C'est alors qu'intervient la prise de gabarits de chacun des inserts autour de la silhouette du personnage. Pour le Martyre de saint Georges, nous en avons compté un peu plus de vingt, qui varient de 28 cm pour le plus grand à un ou deux centimètres pour les plus réduits, d'où la complexité du travail. L'œuvre est achevée après l'application libre (?) d'un motif ornemental sur la surface du verre55 (fig. 14).
Le peintre-verrier a ici un rôle très important. Comme il le fait pour ses verrières, il se charge de sélectionner les verres fabriqués en plateaux (ou en disques) qui sont à sa disposition sur le marché parisien en ce milieu du XIIIe siècle. Il lui revient de prendre les gabarits et d'attribuer à chacun un numéro en fonction de son emplacement. Il fait de même lorsqu'il travaille sur ses cartons de vitraux. La coupe du verre est malaisée, elle se fait au grugeoir et laisse sur les contours une suite de petits éclats (fig. 20). Comment ne pas imaginer qu'il installe son atelier de découpe sur place, car préparer chaque pièce à distance serait trop délicat ? Vient ensuite l'insertion des pièces dans le mortier malléable, et la recherche de planimétrie de l'ensemble, ce qui est un exercice inusité pour un peintre-verrier.
La technique apparaît donc comme particulièrement exigeante. Elle nécessite un gros travail et une répartition des tâches. Trois corps de métier doivent successivement intervenir : le tailleur de pierre, le fresquiste, le peintre-verrier, le peintre-doreur/fresquiste. Cette fabrication « sur mesure », est dévoreuse de temps. À cette œuvre très luxueuse, reproduite à la Sainte-Chapelle à vingt-deux exemplaires pour les vingt-deux médaillons, aucune suite véritable n'est connue.
Cette réalisation virtuose et ambitieuse ne semble pas avoir dépassé le milieu royal. L'innovation qui consiste à donner l'illusion d'une paroi de verre continue, n'a pas eu de descendance directe. Elle a cependant suscité quelques imitations plus modestes, retables ou tombeaux, par des commanditaires proches de la famille royale, en France, en Angleterre, en Castille et Catalogne.
Fig. 21. Saint-Denis, ancienne abbatiale, à l'origine à Royaumont, tombe de Louis de France († 1260), détail d'un long côté. © S. Lagabrielle.
Dans cette lignée, il faut citer la tombe de Louis de France, le fils de saint Louis, mort en 1260, à l'âge de 17 ans (fig. 21). Sur le socle, les figures du cortège funèbre se développent sur un arrière-plan de verre continu, reconstitué par Viollet-le-Duc à partir des annotations de Gaignières, du type « fond de ver (sic) » et « broderie d'or »56. On a alors cherché à calibrer le plus possible les verres.
Henri III, marié à la sœur de Louis IX, a lui-aussi commandé un retable et une série de tombes à fonds de verre, assurant au décor d'incrustations de verre une certaine fortune en Angleterre. L'étude faite sur le Retable de l'abbaye de Westminster (1259-1269) par des équipes de spécialistes confirme l'usage de la technique entrevue à la Sainte-Chapelle. Sur les réserves de mortier encore mou, une feuille d'argent est fixée à l'aide d'un mordant au blanc de plomb fin et à l'huile de lin57. Les morceaux de verre, quelles que soient leurs couleurs, ont été découpés les uns pour s'insérer entre les pinacles, les autres pour s'adapter à des formats complexes, en croix ou octogonaux. Les plus grands inserts (28 cm, d'après nos calculs) restent géométriques. Les verres de couleur, essentiellement bleus, ont été décorés sur leur face externe de motifs dorés de rinceaux, ou de lion, appliqués par un liant à l'huile de lin58. On pourrait encore citer, sur le même principe, la tombe de Ferdinand de la Cerda, le gendre du roi de France († 1275), à Burgos (Castille), ou celle de san Narciso, confiée en 1328 au sculpteur Jean de Tournai (Gérone) En Italie, il trouvera une interprétation combinant tradition italienne et technique française59.
Les exemples de parois entièrement scintillantes restent circonscrits. Les fonds tapissés de verre ont fait moins d'émules que les faux-émaux que l'on comptait au nombre de 2 000 sur le Retable de Westminster60, et que Neil Stratford qualifie de « curious technical cul-de-sac »61. Si le parti de décor en fausses plaquettes d'émail ou insertions de cabochons ont connu une durée de vie relative, la technique des incrustations à champ continu de verre, née à la Sainte-Chapelle, a encore moins survécu.
Conclusion
C'est à Byzance que les Chrétiens d'Occident des XIe-XIIIe siècles ont découvert l'art des incrustations de luxe, et s'en sont emparés. Afin de pallier à la rareté des pierres précieuses, les artisans italiens ont su jouer avec des marbres de couleur et réduire les formats des inserts, les Français, quant à eux, ont opté pour l'usage exclusif du verre. Après les importations et expérimentations dionysiennes et berruyères, la Sainte-Chapelle approfondit cette démarche dans un contexte particulièrement favorable (1241-1248). La commande émane du roi, accompagnée de moyens significatifs. Elle est confiée aux meilleurs hommes de métier, architectes, sculpteurs, peintres, verriers et peintres-verriers qui se sont mis à son service.
Entre les concepteurs et les peintres-verriers, de nombreuses délibérations ont probablement été requises pour arriver à la mise au point de médaillons à fond de verre fichés dans la maçonnerie. Après avoir exploré les différentes potentialités du décor incrusté de verre pour les mobiliers de chœur, d'entrée de chœur ou de nécropoles, c'est l'ensemble des murs de la chapelle qu'ils ont osé investir, avec toutes les difficultés de mise en œuvre que cela suppose. Mais, l'œuvre, parce qu'elle est particulièrement contraignante à réaliser, ne fera pas école. Ces médaillons monumentaux de verre ne connaissent pas de précédent et ne susciteront pas de suite à l'identique. C'est une expérimentation, qui illustre l'incroyable dynamisme de l'art du verre au temps de saint Louis, et dont les retombées techniques – indirectes – restent encore à explorer.
Sophie Lagabrielle.
- 1. ↑ Vitruve, De Architectura, livre 7.
- 2. ↑ D'après Barral i Altet, le pavement de Saint-Denis est le seul, en France, qui témoigne, au Moyen Age, de l'emploi de cubes dorés ou en pâte de verre, « dans la mesure où ces cubes, plus fragiles, résistent peu au frottement des pieds ». Il ajoute que des morceaux de verre ont été signalés à Saint-Marc de Venise, à Monreale, et à la cathédrale de Sienne « bien qu'il s'agisse probablement de contextes muraux », in Barral i Altet, Le décor du pavement au Moyen Age. Les mosaïques de France et d'Italie, Rome, 2010, p. 39.
- 3. ↑ Négatifs de cabochons à Rocamadour ou Lavaudieu, par exemple.
- 4. ↑ Sculpture mobilière majoritairement des XIIIe-XIVe siècles : autel de Saint-Thibaut-en-Auxois (Côte d'Or) ; au Musée du Louvre, Plaque sculptée des saints Denis, Rustique et Eleuthère, abbatiale de Saint-Denis, jubé, entre 1285 et 1293, N 15006 ; Vierge allaitant l'Enfant, Picardie, vers 1400, RF 2333 ; Buste d'évêque, Île-de-France, 1er tiers XIIIe siècle, RF 1423 ; Vierge à l'Enfant, Ile-de-France ou Champagne, 2e quart XIVe siècle, RF 1398 ; Vierge à l'Enfant, Bourgogne (Citeaux ?), 2e quart XIVe siècle, RF 880 ; in Françoise Baron, Musée du Louvre, Département des sculptures, catalogue, Paris, 1996, p. 97, 126, 133-135, 138 ; Vierge à l'Enfant, Normandie, Victoria and Albert Museum, inv. 7949-1862, cf. Régine Page, in Paul Binski et Ann Masing (éd.), The Westminster Retable: History, Technique, Conservation, Turnhout, p. 116-117.
- 5. ↑ André Grabar, « Trônes épiscopaux du XIe et XIIe siècle en Italie méridionale », in Wallraf-Richartz-Jahrbuch, Cologne, XVI, 1954, p. 7-52 ; Nicolas Reveyron, « Décors d'incrustation et tendances antiquisantes dans l'architecture romane de la moyenne vallée du Rhône », Gesta, XXXIX/1, 2000, p. 28-40 ; Emile Bertaux, op. cit., p. 446 ; Lucien Bégule, Les Incrustations décoratives des cathédrales de Lyon et de Vienne : recherches sur une décoration d'origine orientale et sur son développement dans l'art occidental du Moyen Âge, Lyon, 1905.
- 6. ↑ Les colonnes, conservées sur près de 2 m, comprennent 12 losanges par circonférence et 10 losanges en hauteur (H. 13, 5 cm). Chaque losange est redivisé en triangles (H. 3,5 cm), carrés (H. 5,75 cm) et fins rectangles (L. 2 cm), séparés par des parois de 0,4 à 0,7 cm d'épaisseur.
- 7. ↑ Istanbul, musée archéologique, inv-71.52T-71.53T.
- 8. ↑ Sur le site du Grand Palais, ont été retrouvés, datés du VIe siècle, les restes de « beaucoup de mosaïques de verre… par petites plaques encore adhérentes au mortier... dorées ou vertes... (qui) font partie du décor émaillé des décors à personnages. Enfin une assiette en terre cuite émaillée, intacte, avec un dessin doré sur fond jaune… », M. R. Mesguich, « Un palais de Byzance : La maison de Justinien. Premiers travaux », in Comptes rendus des séances de l'année. Académie des inscriptions et belles-lettres, n° 4, 1914, p. 444-451, voir p. 450.
- 9. ↑ Sainte Eudoxie, marbre, pierres colorées, musée archéologique d'Istanbul, H. 62 cm ; L. 26 cm, inv. 4309T. Provient de l'architrave du « templon » de la chapelle, cf. A. Cutler et J.M. Spieser, Byzance médiévale, (700-1204), Paris, 1996, p. 171.
- 10. ↑ Il est difficile d'identifier la technique vitrifiée utilisée. Mais la surface micro-accidentée ne semble pas être assez lisse pour du verre.
- 11. ↑ Grabar, op. cit., p. 95.
- 12. ↑ Après les destructions de la seconde guerre mondiale, il faut se reporter aux descriptions des autels et des murs incrustés de marbres, aux vestiges de dalles à incrustations et de figures zoomorphes (chiens découverts sous l'autel en 1950), cf. Xavier Barral i Altet, op. cit., 2010, p. 355-357 ; Charles Joseph Van en Nest, Naples et le Mont-Cassin, t. 2, Anvers, 1850, p. 242.
- 13. ↑ Fabio Coden, "Mastic incrustation sculpture in San Marco Venice (XIth-XIIth century)", Arte medievale, 2006, V, p. 21-48 ; Guido Perroco, « Venise et le trésor de Saint-Marc », cat. Le Trésor de Saint-Marc de Venise, Paris, 1984, p. 24 ; Étienne Coche de la Ferté, L'Art de Byzance, Paris, 1981, p. 163.
- 14. ↑ Brodeck Sulamith, Les saints de la cathédrale de Monreale en Sicile. Iconographie, hagiographie et pouvoir royal à la fin du XIIe siècle, Rome, 2010, p. 202-211.
- 15. ↑ Giovanna Valenzano, « Mobiliers liturgiques à incrustations de marbres en Italie du Centre-Nord », in Saint-Guilhem-le-Désert : le contexte de la fondation, l'autel médiéval de Saint-Guilhem : table ronde d'août 2002 (soit, SGLD, 2002), Actes, dir. de Xavier Barral i Altet et Christian Lauranson-Rosaz, Montpellier, 2004, p. 193-205, p. 147-162.
- 16. ↑ Lire le Moine Théophile, « Du verre grec qui orne la mosaïque : On fait aussi des feuilles de verre, par le même procédé que les feuilles de verre pour fenêtre, avec du verre blanc clair, épaisses d'un doigt. On les coupe avec un fer chaud en petits morceaux carrés, on les recouvre d'un côté avec une feuille d'or, par-dessus laquelle on étend du verre très clair pilé, et les cuisent dans le fourneau comme il a été dit plus haut. Cette espèce de verre doublé décore très bien la mosaïque ». Théophile, Essai sur les divers arts en 3 livres, éd. J. Bourassié, Paris, 1980, p. 80.
- 17. ↑ Ruggero Martines, La cattedrale di Ravello, Viterbo, 2001.
- 18. ↑ À Saint-Trophime d'Arles : pâte de verre de couleur, découverte dans la frise de rinceaux de la corniche du soubassement, cf. A. Hartmann-Virnich, « Les découvertes archéologiques, Monumental, décembre 1995, n° 10-11, p. 42-43. A Paray-le-Monial, devant de l'autel à décor de verres découpés, d'après Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné. L'Architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, 1856, t. V, article Autel, p. 43-45 ; dans le chœur de Vézelay, « sur le fût de plusieurs de ces piliers on observe des incrustations en mosaïque dont on ignore l'origine et le but : une seule paraît représenter un papillon ; les autres n'ont aucune forme déterminée. Il me semble probable qu'on a voulu cacher ainsi quelque défaut dans la pierre », Mérimée, Notes sur l'abbaye de Vézelay, 1835-1840.
- 19. ↑ Dom Jacques Doublet, Histoire de l'abbaye de S. Denys en France, Paris, 1625, rapporté par Viollet-le-Duc, op. cit., p. 43-45 ; Bégule, op. cit., p. 66-67, écrit que « les colonnettes et les arcatures du sous-bassement étaient incrustées de fragments de verres de couleur, très finement découpés ».
- 20. ↑ Complexe, l'œuvre, pourrait résulter du remontage de mobiliers d'origines différents, elle pourrait s'inspirer de la châsse de Saint Gilles ou se référer à une œuvre plus ancienne, in Gabriel Vignard, « L'autel-coffre en pierre : double image christologique. Nouvelles observations et questions », in SGLD, 2002, p. 193-205, dont p. 194.
- 21. ↑ Ibid., p. 148.
- 22. ↑ Le verre coloré en rouge n'est pas cité par Bégule qui a vu l'autel avant 1905. Veiné à la manière des verres de vitraux des XIIe et XIIIe siècles, ce verre rouge semble authentique. L'auteur parle d'un « bleu très soutenu et (d'un) vert sombre ». Le verre vert actuel semble à l'inverse très vif. Bégule aurait-il disposé d'un mauvais éclairage ? Cf. Bégule, op. cit., p. 40 ; malencontreusement, les prises de vue de R. Hamann (1925, 1937) sont en noir et blanc. Il existe une aquarelle de Nodet, 1900, cf. Vignad, op. cit. p. 193 ; Xavier Barral y Altet, « Le devant d'autel majeur de Saint-Guilhem-le-Désert », in Saint-Guilhem-le-Désert au Moyen Age. Nouvelles contributions à la connaissance de l'abbaye de Gellone, Saint-Guilhem, 1996, p. 249-252.
- 23. ↑ Ibid., p. 91-102.
- 24. ↑ Bégule, op. cit., p. 40-41.
- 25. ↑ SGLD, 2002, p. 125-136, dont p. 131.
- 26. ↑ Ibid., p. 147-162.
- 27. ↑ La végétation représentée nous semble plus proche des feuillages du gothique du XIIIe siècle antérieur à la Sainte-Chapelle que des palmettes-fleurs du XIIe siècle reprises par les émailleurs de Limoges (cf. Denise Jalabert, La flore sculptée des monuments du Moyen Age en France : recherches sur les origines de l'art français, Paris, 1965). On peut la comparer aux dalles incrustées de Toscane : ambons de la paroisse de Fagna (Scaroperia, Florence, 4e quart du XIIe siècle) et de San Giovanni Maggiore (Borgo San Lorenzo, Florence, 4e quart du XIIe siècle), chancel et ambon à bordure à petites feuille trilobées, très régulières de Barga (1204 et 1230). Et, plus particulièrement au décor de l'ambon de San Leonardo in Arcetri, anciennement à San Pietro (Scharraggio, postérieur à 1200), aux fonts baptismaux de Fagna, (postérieur à 1200) et à l'ambon de Bitonto (1229), cf. Valenzano, SGLD, 2002, p. 147-158.
- 28. ↑ Barral i Altet s'interroge sur une réalisation « commande d'Italie ou cadeau royal », ibid., p. 91-101.
- 29. ↑ Pour G. Valenzano, la technique de l'autel pyrénéen est romane et italienne. L'œuvre serait soit importée d'Italie, soit réalisée par des Italiens, ibid., p. 147-153 ; Pour R. Bavoillot, c'est un unicum, une œuvre due aux largesses d'un riche commanditaire qui attesterait d'une relation avec l'art végétal byzantin, et vénitien, cf. Barral i Altet, ibid., p. 99.
- 30. ↑ Lydia Sieberling-Rinckenbach, ibid., p. 191-192.
- 31. ↑ Voir note 16.
- 32. ↑ Louvre, RF 432 ; dim. des losanges : H. 7,5 ; L. 5,5 de large ; la polychromie a été décapée et il ne reste que des traces de mortier de couleur, Baron, op. cit., p. 103 ; Pierre-Yves Le Pogam, cat. Les Premiers Retables (XIIe-début du XVe siècle). Une mise en scène du sacré, Paris, 2009, p. 74-76 ; Page, op. cit., p. 109.
- 33. ↑ Le tombeau a été complété au XIXe siècle par des verres bleus opaques. (D. 5 cm) ; Alain Erlande-Brandenburg, Le roi est mort. Étude sur les funérailles, les sépultures et les tombeaux des rois de France jusqu'à la fin du XIIIe siècle, Paris, 1975, p. 115, 164-165 ; cat. Retables, op. cit., p. 76 (datation) ; Page, op. cit., p. 109.
- 34. ↑ Était-il orné de verres églomisés ? Voir Erlande-Brandenburg, op. cit., p. 115, note 49.
- 35. ↑ P. Belli d'Elia, Frammenti e sculture della cattedrale di Bitonto, Bitonto, 1971 ; Bertaux, op. cit., p. 655-657 ; Bégule, op. cit., p. 49.
- 36. ↑ Voir le pupitre de l'Épître de la cathédrale de Ravello, antérieur à 1130, et son décor d'incrustation de céramique à décor de lustre, in Martines, op. cit.
- 37. ↑ Depuis 1994, le jubé est présenté dans la crypte de la cathédrale. Fabienne Joubert, Le Jubé de Bourges, Paris, 1994.
- 38. ↑ D. 7,5 cm pour les cercles, L. 4,5 cm pour les carrés.
- 39. ↑ Dans les logettes circulaires de plus petit format, la présence d'un trou réfère peut être à l'accroche d'un ancien cabochon de verre, cf. Page, op. cit., p. 108-109.
- 40. ↑ Les verres en plateau ont été fabriqués du Moyen Age à la Révolution. Archives départementales du Cher, E 5131, Devis et marché (1653) :« faire mettre à ses dépens des vers de France figurés et dorés selon l'antien dessin partout où besoin sera et ansy que cy devant ils ont esté ». Cf. Joubert, op. cit., p. 21-23.
- 41. ↑ Henry Maguire, Byzantine Court Culture from 829 to 1024, Washington, Dumbarton Oaks Research Library, 2004, p. 55-57 ; Jannic Durand, Le Trésor de la Sainte-Chapelle, Paris, 2001, p. 28-30 ; Holger Klein, "Sacred Relics ans Imperial Relics and Imperial Ceremonies at the Great Palace of Constantinople", F.A. Bauer (ed.), Visualisierungen von Herrschaft, Byzas 5 (2006), p. 79-99.
- 42. ↑ Il se peut que Berruyer ait eu en main les carnets de voyage de certains artistes, à la manière de celui de l'architecte Villard de Honnecourt, en périple (probable) au Proche-Orient, cf. Philippe Verdier, « La sepouture dun Sarrazin de Villard de Honnecourt, Essai d'identification », Journal des savants, 1983, vol. I, n° 1-3, p. 219-228 ; Fabienne Joubert, La sculpture gothique en France (XIIe-XIIIe siècles), Paris, 2008, p. 213-224.
- 43. ↑ Cat. Retables, op. cit., p. 76.
- 44. ↑ Cat. Retables, op. cit., p. 77 ; p. 243.
- 45. ↑ Cavités : D. 3 et 5 cm. La dalle est cernée d'une « fine bordure de rinceaux et fleurettes incrustée de pâtes de verre vertes et rouges et noires, à base de résine », reconstituée par Viollet-le-Duc, cf. Bégule, op. cit., p. 67.
- 46. ↑ RF 1251 ; Baron, op. cit. p. 103 ; cat Retables, op. cit., p. 77-79. Recueilli au MMF, ce devant d'autel a été désolidarisé de son ensemble par Alexandre Lenoir qui l'a utilisé dans un décor de mausolée pour la reine Blanche de Castille. L'architecte Debret l'a partagé en deux pour orner le tombeau de Jeanne de France, reine de Navarre (élément perdu). Il a scié le bord et cassé plusieurs verres. Restaurée, à très restaurée, la plaque est ornée d'un réseau losangé (H. 7,5 cm ; L. 5,5 cm ; Prof. 0,5 cm).
- 47. ↑ Pour les verres en plateaux, voir note 39. Les verres en cylindre peuvent être d'époque moderne ou post-Révolutionnaire.
- 48. ↑ D'après Viollet-le-Duc, les « verres taillés en losanges, et à travers lesquels on aperçoit des aiglettes sur fond pourpre » sont fixées par un mastic. D'après Bégule, les verres incrustés sont posés sur des fonds de cire peints et dorés. Voir la complexité stratigraphique confirmée par le Rapport d'analyses (CNEP, Aubière, 2008) et le dossier de restauration (B. Beillard et E. Wolkowski, 2008). Je tiens à remercier Béatrice Beillard pour sa coopération.
- 49. ↑ Voir la partie inférieure des statues d'Apôtres déposées au musée de Cluny, où alternent des cavités circulaires et carrées, un double format qui fait penser à deux types différents d'incrustations. Du verre est également présent de nos jours dans leurs croix de consécration.
- 50. ↑ Dès 1298-1299, Philippe le Bel a fait repeindre certaines images : Pro tota capella inferius et superius mundanda et ymaginibus pingendis ubi opus fuerit, estimé à LX s, d'après le « Compte d'un maître chapelain de la Sainte-Chapelle (1298-1299) », in Charles Casati, Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 1856, t. 17, p. 160-164 ; A. Verdier, « Notes et documents sur la Sainte-Chapelle », Mémoires historiques de Paris, 28, 1901, p. 331. Vingt médaillons ont alors été restaurés, mais certains entièrement, d'autres partiellement. Arch. Médiathèque du Patrimoine, 2078, relevés, cote 6655. Les médaillons à fond de verre dont il ne reste rien, sont au Nord, N 2/12 et au Sud, S 11/19 ; ceux qui ont conservé quelques éléments de verre « originaux », N 22 et S 1/3. Ont été restaurés au XVIIe siècle : N 10/14/16/18/20 et S 13/15/17/21. Au XIXe siècle : N 4/6/8/ et S 5/7/9.
- 51. ↑ Boeswilwald, 1861, note 10. Technique mentionnée par Viollet-le-Duc, op. cit., article Peinture, dont p. 76.
- 52. ↑ Davison in Binski et Masing, op. cit., p. 260-268.
- 53. ↑ L'enduit préparatoire du XVIIe siècle est fait de chaux et de colle, les scènes sont peintes à la détrempe avec un liant de jaune d'œuf additionné de blanc de plomb. La couche préparatoire due à la restauration du XIXe siècle comporte du blanc de zinc, et des traces de résine pour liant, in Jeanne Marey, « Les Médaillons peints de la Sainte-Chapelle, restaurations et techniques », Livraisons d'histoire de l'architecture, 2001, n° 1, p. 75-88, voir p. 78, 83. Rapports n° 468 B (1980), C et D (1992), Laboratoire de Champs-sur-Marne.
- 54. ↑ Rapport, 1992, op. cit.
- 55. ↑ D'après les constatations faites sur le Retable de Westminster, Davison in Binski et Masing, op. cit., p. 261.
- 56. ↑ Les annotations de Gaignières avaient été portées sur le petit côté de la tombe, près de la civière, BNF collection Clairambault 632, fl. 130-133, cf. Guilhermy BnF, N. a. f. 6121, fol. 16v°. Pour Erlande-Brandenburg, op. cit., 167-168, le socle est en grande partie moderne. Jean Adhémar, « Les tombeaux de la collection Gaignières à la Bibliothèque nationale, dessins d'archéologie du XVIIe siècle » in Gazette des Beaux-Arts, vol. 84, 1974, p. 28, fig. 104.
- 57. ↑ Stratford, in Binski et Masing, op. cit., p. 124-127.
- 58. ↑ Voir note 52.
- 59. ↑ Voir les exemples cités par in Binski et Masing, op. cit., p. 116-117.
- 60. ↑ Spike Buclow, Ibid., p. 270.
- 61. ↑ Neil Stratford, Ibid., p. 127.