Actes du deuxième colloque international de l'association Verre et Histoire, Nancy, 26-28 mars 2009

Bernard Perrot entre secrets et innovations

Alain Bouthier
Maître de conférences retraité
Laboratoire d'Archéologie, UMR 85 46 CNRS / ENS, École Normale Supérieure, Paris (France).

Le 30 juin 1666 un traité de société est signé entre Marie de La Haye Saint-Hilaire, marquise du Plessis-au-Chat, Dominique de Mede, baron de Sainte-Colombe, et Bernard Perrot. En conséquence Perrot obtient de ses associés le secret de faire des émaux et cristaux. Ils s'entendent pour l'installation d'une verrerie à Orléans.

Dans plusieurs lettres Perrot relate à la marquise ses expériences à Nevers de l'été 1668. Mais il est ensuite accusé d'avoir confectionné durant quatre ans (1668-1672) une grande quantité de cristaux, de les avoir vendus, commercialisés et d'avoir dissimulé à ses associés les bénéfices réalisés. Ses associés lui intentent successivement un procès au Châtelet de Paris en 1672, ils obtiennent la saisie de ses marchandises de cristaux d'Orléans, et de certains de ses avoirs.

Perrot semble avoir surtout tiré parti des liens de ses associés impliqués dans l'affaire des poisons avec le milieu alchimiste. Ses innovations en matière de rouge pourraient en avoir découlé.

Bernard Perrot, between secrets and innovations

On 30th of June 1666 a trade partnership is signed between Marie de La Haye Saint-Hilaire, marchioness of Plessis-au-Chat, Dominique de Mede, baron of Sainte-Colombe and Bernard Perrot. Perrot is thus given the secret recipe of enamels and crystals. They agree to set up a glasshouse in Orleans.

In a number of letters, Perrot describes to the marchioness, his experiences in Nevers during the summer of 1668. However he is later accused of having made a great number of crystals over a period of four years (1668-1672), and to have sold them without sharing the profits with his associates. As a consequence a trial is held against him at the Paris Châtelet in 1672 and his associates obtain the seizure of his Orleans crystals and of his assets.

Perrot seems to have gained a lot from his associates, all involved in the poison affair linked with the alchemist milieu. His innovations in red glass may have stemmed from them.


∧  Haut de pageLes débuts de Bernard Perrot

Bernardo Perroto est né à Altare le 29 février 1640, comme C. Maitte l'a démontré récemment1. Il suit  un apprentissage de verrier chez son père, mais nous ignorons s'il y passe toute sa jeunesse.

Un homonyme (son parent ?) l'a précédé à Nevers2.

Son oncle Jean Castellan, connaissant l'art des ouvrages de verre, cristal et émail, se voit accorder par le Roi le 20 avril 1661 des lettres patentes pour établir une verrerie à Nevers et un privilège pour la vente de ses produits sur la Loire depuis Nevers jusqu'à Poitiers pendant dix ans3. Son associé, le premier Bernard Perrot, disparaît entre-temps4.

∧  Haut de pageL'association de Bernard Perrot

Cinq pièces découvertes à la Bibliothèque nationale dans le Cabinet d'Hozier jettent un jour nouveau sur la carrière de Bernard Perrot, deuxième du nom.

On l'y voit passer un traité le 30 juin 1666 avec Marie de La Haye Saint-Hilaire, marquise du Plessis-au-Chat et Dominique de Mede, baron de Sainte-Colombe. Les trois contractants s'engagent dans l'art de la verrerie des émaux et cristaux sous le nom de Perrot « pour dix ans à faire valoir et travailler les secrets qu'il a plu à Dieu [leur] donner connoissance et en partager également les profits qui en proviendront » (annexe I).

Ces actes sont reproduits dans leur intégralité dans les annexes I à V.

Qui sont les intervenants de la société de 1666 ? Outre Bernard Perrot, ils se dénomment Marie de La Haye Saint-Hilaire, dite la Marquise, Dominique de Mede et quelques autres collaborateurs.

∧  Haut de pageMarie de La Haye Saint-Hilaire

Marie de La Haye Saint-Hilaire, qui se disait marquise, ne l'était nullement. Elle appartenait néanmoins à une famille noble bretonne très ancienne, qui possède le château de La Haye à Saint-Hilaire-des-Landes près de Fougères. Elle était fille de Henri de La Haye Saint-Hilaire premier du nom, seigneur du lieu et du Plessis Malesse5 et de Françoise Fouquet de Challain6 7 qu'il avait épousée, le 7 janvier 1618 (contrat devant Roussart). Marie était cousine issue de germaine du surintendant Fouquet8 9.

Marie de La Haye Saint-Hilaire s'était d'abord mariée (en mars 1639) à Syméon de La Haye, sieur du Plessis-au-Chat10. À l'âge de cinquante trois ans environ, veuve trois ou quatre mois, elle épouse en 1674 Robert de Lamiré, d'abord seigneur de Raisse puis de Bachimont, Rurecourt et Yvranches11.

Les récentes recherches de l'équipe de Genverre, publiées par B. Painchard, apportent des détails éclairants sur les relations étroites entre Perrot (témoin d'un acte, cité par Painchart, à Liège où il se trouvait le 2 avril 1664) et la « marquise » antérieures au traité d'association. La découverte d'un brouillon du contrat de mariage, passé à Liège devant le notaire Castro le 25 janvier 1665 (après un premier contrat non abouti du 27 décembre 1664), entre Perrot et Marie Clouet « demoiselle [de] haute et puissante dame Marquise du Plessis aux Chats », précise dans ses attendus que la « marquise », présente, accorde aux époux, « avec messieurs ses associez », une donation de 20 000 livres ; en contrepartie les époux, selon un acte (disparu) du 6 novembre 1664 chez le même notaire, s'engagent à « ne […] reveler aucuns secrets […] qui puisse porter prejudice à ladite societé » à peine de déchéance du don, tandis que Perrot s'oblige « de servir ladite dame Marquise et ses associez […]  l'espace de 3 ans prochains […]  luy livrant les fourneaux materiaux »12.

Pour mieux connaître les vie et connaissances des époux Bachimont, il faut consulter leurs interrogatoires subis en 1678 pour l'instruction de l'affaire des poisons, affaire dans laquelle ils ont été largement impliqués13. Séparée de son mari le sieur du Plessis aux Chats par voix de justice, Marie fréquentait Bachimont depuis 1672 (d'après la pièce de Le Mazier datée du 12 juillet)14. Sa belle-mère, dame du Plessis, mourut de vieillesse vers 1677 en Bretagne. Huit jours plus tard sa belle-sœur, Mme du Chastelier, fut emportée par « une fièvre causée par [...] la perte de sa mère », aux dires de sa sœur, religieuse à Rouen15 ; Marie fut accusée d'avoir contribué à leur élimination, les accusations ne furent jamais prouvées (Lebigre).

Il reste vrai que la marquise avait de gros besoins d'argent16. Endettée en 1672 auprès de Le Mazier17, elle parvint, vers 1673, à effectuer de gros transferts d'argent18. En août 1679 les Bachimont sont emprisonnés à Pierre-Scize19. En octobre 1679 ils sont transférés à Besançon. Malgré la plaidoirie de leur avocat, ils sont condamnés à la détention perpétuelle et enfermés dans le fort Saint-André de Salins20. Emard et Fournier, comme Ravaisson, restent muets sur la date de leur décès.

∧  Haut de pageDominique de Mede

L'autre associé, Dominique de Mede (ou plutôt, selon Marie, de Mead) d'une bonne maison d'Irlande21, « prenait la qualité de baron et a pris le nom de Sainte Colombe ». Il se revendiquait neveu du colonel Dillon, or James (Jacques en France) Dillon, huitième fils de Theobald vicomte Dillon de Costello Gallen et de Eleanor Tuite du Comté de Westmeath, décédé vraisemblablement en (ou après) 1669 après avoir servi la France à la tête d'un régiment irlandais de 1653 à 1664, a été marié deux fois : la première fois à Elizabeth Plunkett of Rathmore, issue d'une famille irlandaise très étendue, qui ne semble pas avoir eu de Mead dans sa parenté. Sur la seconde épouse, Mary Ridge (née Jones) of Sligo, peut-être de souche anglaise, aucun détail de parenté n'a pu être trouvé. Il est en revanche assuré qu'aucune des onze sœurs de James Dillon (et spécialement des six qui se sont mariées) n'a épousé un de Mead. Le nom Meade est par ailleurs présent en Irlande du Sud (Tipperary, Cork) vers le XVIIe siècle et était porté par des protestants, alors que le prénom Dominique suggèrerait plutôt une obédience catholique22. Il subsiste donc une incertitude sur l'origine irlandaise de Mead !

Proche des Bachimont, il est « l'homme de l'ombre », dont on ignore l'essentiel de la carrière, mais qui semble avoir été le seul « spécialiste » en cause dans la société, même si ses antécédents restent obscurs. Serait-ce lui « l'apporteur de secret » ? Il est sûr qu'il a été présent à Liège en même temps que la marquise et Perrot. Le 5 juillet 1664 il y a en effet bénéficié d'une sauvegarde, puisqu'impliqué dans une rixe avec deux adversaires verriers (?) (Painchard23). Il demeure à Orléans près d'un an, pour y établir une verrerie, mais Bachimont ignore à quelle date24. Bachimont l'a hébergé chez lui où il « avait … un fourneau dans [la] cave pour faire des pierreries et du cristal, [il] en avait le privilège »25. « Dans la même maison (de l'enclos du Temple), Sainte Colombe avait une verrerie et faisait des cristaux»26. Marie a déclaré « le connaît(re) depuis environ cinq ans [en fait depuis quatorze !]. D'Orléans, où il voulait faire une verrerie, il vint voir madame de Bachimont, alors veuve, à Paris, avant d'en établir une à Saint-Cloud. »27 « Agé de trente-huit à quarante ans en 1675 [donc né vers 1635-1637], [il était de] taille moyenne et fort droite, délié, blanc de visage, belle perruque naturelle et noire, [...] des cheveux noirs, fort longs et frisés naturellement, une petite cicatrice sur le nez, la barbe châtaine et le visage un peu long, portant épée [...], n'observant point les modes. »28 « Il écrivit de Paris29 qu'à cause du malheur de ses affaires il s'en irait en Irlande, en Angleterre ou en Espagne, pour tâcher d'établir une verrerie, et profiter de ses cristaux blancs et de toutes sortes de couleurs dans le verre. Il reviendrait dans un an avec des voiles d'écarlate pour foudroyer ses ennemis » ; les Bachimont n'en ont eu aucune nouvelle et ignoraient où il se trouvait30 (annexe VI). A-t-il effectivement mis ses projets à exécution ? Toujours est-il que l'on retrouve sa trace bien plus tard à Bruxelles le 9 octobre 1681 où, sous le nom cette fois de Dominique de Mede baron de Santa Colona, il bénéficie de l'« octroy d'un privilège pour ériger une ou plusieurs verreries par tous les domaines des Pays-Bas » : il « aurait trouvé l'art de fondre et fabriquer du cristal de roche » ; en conséquence on lui délivre une « autorisation à ériger des verreries dans toute l'étendue des Pays-Bas, où il trouverait sa plus grande commodité pour fabriquer toutes sortes de vases, ustensiles et autres pièces, tant de cristal que de verre, pendant 15 ans, verres, tasses, coupes, chandeliers et autres façons de cristal de roche seulement et après l'expiration de l'octroi accordé à Léonard Bonhomme »31. Sainte Colombe était-il un escroc ou un authentique technicien et qu'a-t-il bien pu apporter de concret à Perrot ?

∧  Haut de pageLes autres relations

Plusieurs autres personnages ont aussi été impliqués dans les mêmes affaires. Le plus intime collaborateur des Bachimont a été Louis de Vanens, ancien chevalier de Malte selon Vergé-Franceschi32. Il a été suffisamment convaincu de tentatives d'empoisonnement, réussies ou non, après avoir pratiqué pendant longtemps des expériences d'alchimie, qu'il resta enfermé au fort Saint-André de Salins jusqu'à sa mort le 22 octobre 169133. Chasteuil, souvent cité comme complice et inspirateur du ménage Bachimont, serait Marc-Antoine de Galaup-Chasteuil, troisième fils de Jean de Galaup-Chasteuil procureur général en la cour des comptes, aydes et finances de Provence et d'Elisabeth Puget34 ; il est décédé en 1678. Funck-Brentano donne une description détaillée de cette association d'alchimistes ; il y détaille en particulier les différents lieux où Bachimont avait établi ses fourneaux (Compiègne, le quartier du Temple à Paris et l'abbaye d'Ainay près de Lyon), mais il se borne à citer le propos rapporté par Ravaisson : « Bachimont dit que Castelmelhor lui donna le secret du rouge dans le verre »35. Beaucoup d'autres mentions de ces interrogatoires présentent de l'intérêt pour notre sujet et méritent de figurer en  annexe.

∧  Haut de pageBernard Perrot après le traité

Bernard Perrot, venu en France auprès de son oncle Jean Castelan (la mère de Perrot est la sœur de l'épouse de Castelan, Maitte36) s'est fait accorder, le 18 septembre 1666, des lettres patentes pour « faire la manufacture, vente & debit d'un feu de terre en boules qui brûle sans fumée ny mauvaise odeur »37. Il semble qu'alors il se trouve à Paris.

Que fait-il ensuite ? Il est sûr qu'il se rend à Nevers pour la mise au point de ses techniques entre le 28 juin et le 26 septembre 1668, comme le prouvent les quinze lettres qu'il a adressées à la marquise du Plessis au Chat, et que l'avocat Le Mazier, défenseur et créancier de la marquise, a reçues de Bachimont pour servir de pièces à conviction en justice (annexe III).

Les succès semblent inégaux : « Je sçavois bien … que vous n'auriez pas toute la satisfaction que vous attendiez de nos premiers ouvrages » (2 août) et « Je vous envoye [...] dans la boiste icy jointe, deux colomnes avec deux bandes de la bordure de la table et un carrot [carreau ?] » (4 août), et enfin « Je vous envoye [...] par le messager de Nevers [...] une oualle » (2 septembre). L'exploitation des registres de quelques paroisses de Nevers et des minutes des notaires neversois n'a pas apporté la preuve de la présence de Perrot à Nevers. Dans un acte du 9 juillet 166838 passé entre Castellan et Anne Girard, marchande publique à Nevers, pour solder un « compte de touttes marchandises » fournies à Castellan, il n'est pas fait mention de Perrot comme témoin, comme c'eût été le cas s'il avait travaillé chez son oncle. Mais peut-être était-il l'hôte d'un des nombreux artisans émailleurs exerçant alors à Nevers (Bringuier)39.

Le 7 décembre 1668, Perrot se vante d'avoir « raporté des longs voyages [...] en divers pays deux beaux et rares secrets, le premier de teindre le verre en couleur rouge transparente interieurement et dans toute sa substance (invention qui auroit esté usitée par les anciens, mais qui se seroit depuis perduë, & n'auroit point esté retrouvée jusques à present ), le deuxieme de faire un très riche émail sur des carreaux & des colomnes de cuivre ou autres formes qu'il voudra leur donner de toutes sortes de couleurs & figures qui pourroient estre appliquées à faire des tables, cabinets, cassettes, chaires, mesme à carler des chambres & cabinets, & à d'autres ouvrages trés-rares dans leurs especes. » Des bribes de correspondance citées, il ressort que Perrot a travaillé à Nevers à des innovations techniques sur les verres de couleur et l'émaillage de supports en cuivre. On peut penser qu'il a suffisamment abouti dans ses recherches pour solliciter en 1671 des lettres patentes pour « travailler ausdites inventions & secrets par luy descouverts »40.

Il pouvait s'installer où « bon luy semblera dans (le) Royaume », mais c'est à Orléans qu'il décide de monter une verrerie « pour la commodité du bois ». Il se sert pour ce des capitaux de la marquise (1200 livres outre plusieurs autres sommes). Il a auparavant négocié avec son oncle Castellan la faculté de vendre ses produits sur la Loire en aval d'Orléans et aussi sur Paris où il a ouvert un magasin sur le quai de l'Horloge du Palais chez un certain François Poussin. Il est de plus précisé que ces installations ont été réalisées trois ans avant janvier 1672 soit en fin d'année 1668.

Les deux associés de Perrot s'aperçoivent début 1672 « qu'il a usé de mauvaise foy, en cachant tout ce qu'il pouvoit sans rendre aucun compte ni faire aucune repartition des profits realisés ». De plus Perrot a eu le mauvais goût de faire signifier à Mede le 29 août 1671 une quittance de 1200 livres (correspondant à l'avance que lui avait consentie la marquise) remboursée le 20 août par son hôte Poussin à une veuve Delaloy envers qui les associés avaient une obligation. Mede sollicite le lieutenant civil de Paris de faire assigner Perrot le 14 janvier 1672 en application des termes du traité de société. Permission accordée, l'assignation est effectuée le 23 mai et s'ensuit le lendemain la saisie des « marchandises de cristaux » se trouvant à Orléans avec mise en place d'une garnison pour leur conservation, mais le même jour une sentence du lieutenant général d'Orléans ordonne mainlevée de la saisie et les choses en sont restées là (annexe II). Cependant Le Mazier, avocat et créancier de la marquise, a fait saisir chez Perrot les sommes que lui devait la marquise et une nouvelle requête a été déposée au Châtelet de Paris le 20 août, après sentence d'évocation du 3 août. De son côté Perrot conteste et prétend ne plus rien devoir à cause d'une instance en cours entre la marquise, Le Mazier41 et le marquis de Pransac (annexe V).

On ignore l'issue de ce procès : rien de probant n'a en effet été trouvé dans les vingt-deux registres du Châtelet de Paris contemporains du procès qui ont été consultés, non plus que dans les archives de la juridiction consulaire parisienne42.

La marquise à cours d'argent a dû emprunter à Le Mazier, son avocat dans son procès contre Perrot. Reste le problème de l'origine réelle des perfectionnements techniques qu'évoque le traité : « travailler en l'art de verrerye & emaux et cristaux soubs le nom de Perrot qui a eu de la dame & de Demede le secret de les faire plus beaux qu'aulcuns qui soyent en France ». Les innovations mentionnées ici ont-elles été communiquées par ses associés à Perrot dès juin 1666, ou bien sont-elles dues aux connaissances glanées par Perrot dans ses pérégrinations, comme il l'avance dans le privilège de 1668, ou encore transmises plus tard par la fréquentation des alchimistes de l'entourage des Bachimont ? Qui sont ses informateurs dans ce cercle : Vanens (« il faisait fondre du cristal à la verrerie de Rouen … pour faire des pierres de couleur »43) ou Chasteuil qui les auraient obtenus du portugais Castelmayor : « Il [Chasteuil] lui a écrit pour lui demander le rouge transparent dans le verre, ayant appris de M. le comte de Castelmajor qu'il le lui avait donné »44 ?

Une chose est sûre : Perrot, malgré ses démêlés judiciaires avec les Bachimont, a su prendre suffisamment de distance avec ces fréquentations sulfureuses pour n'être pas impliqué, non plus que son épouse Marie Clouet pourtant suivante de la marquise, dans les interrogatoires et les poursuites de l'affaire des poisons où leur nom n'apparaît jamais.

Perrot a failli avoir un concurrent : Paul de Massolay de la Motte a voulu créer une seconde verrerie à Orléans (en arguant d'une autorisation de son patron parisien !)45 et obtenu des lettres du Conseil du Roi, le 18 septembre 1671. Le duc d'Orléans les a fait révoquer le 10 octobre, peu après avoir le 28 septembre autorisé son protégé Perrot à établir une verrerie à Orléans en le « qualifi[ant] son verrier, & [en l'autorisant à] mettre & apposer en cette qualité [...] ses armes & panonceaux, avec ceux de Sa Majesté ». Le roi apporte sa confirmation le 28 février 1672, décidant que « Perrot continuë d'y fabriquer [...] avec tels associez, & par tels ouvriers que bon luy semblera, pendant [...] vingt ans toutes sortes d'ouvrages de cristal, de verre commun, de verre teint & d'émail, & autres sortes de verrerie en telles figures, façons, manieres, & grandeurs qu'il conviendra pour la commodité publique, & d'en faire transporter, vendre & debiter en toutes les villes & lieux de nostre Royaume où bon luy semblera sans aucun empeschement, ainsi qu'il est porté par lesdites lettres du 13e juillet 1662 l'Arrest d'enregistrement d'icelles, & celles du 7e septembre 1668. »46.

Malgré un nouveau privilège obtenu le 25 septembre 1688 pour « mettre en pratique generalement tous les beaux secrets qu'il avoit [...] inventez [...] et parce qu'il ne reste plus que cinq années à expirer du premier privilege, [...] terme [in]suffisant, pour recompenser Perrot des depenses qu'il a faites pour trouver cette nouvelle maniere, nous luy avons [...]  prorogé [...]  led. privilege de dix autres années. » Perrot sera, à une date imprécise, poursuivi avec « Louis Potherat, sieur de Saint Estienne, maistre de la faÿancerie de Roüen » par Nicolas de Massolay, sieur de la Motte, (fils ou frère de Paul ?), prétextant que « l'interest [de] Perrot n'est remply que d'envie, [qu'il] est mal fondé dans son opposition sous pretexte des privileges qu'il a obtenus de s'établir seulement à Orleans pour y faire des ouvrages qui se font dans plusieurs verreries de France »47.

∧  Haut de pageConclusion

Dans Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, on trouve sous la rubrique  « Commerce des verriers » la mention : « Perrot a trouvé le secret de contrefaire l'agathe et la porcelaine avec le verre et les émaux. Il a pareillement trouvé le secret du rouge des anciens, et celuy de jetter le verre en moulle pour faire des bas reliefs et autres ornemens. Il a son bureau à Paris sur le quay de l'Orloge à la Couronne d'Or. »48 . L'auteur, Blegny, était bien informé puisqu'il cite le secret du rouge des anciens qu'aurait opportunément retrouvé Perrot, secret que lui ont sans doute transmis les alchimistes impliqués dans l'affaire des poisons. Il est fort probable en effet que ses associés La Haye Saint-Hilaire, Bachimont et Mede aient manipulé communément de l'arsenic.

L'arsenic à l'état de microtraces est en effet l'élément indispensable à la réalisation de la dispersion de microcristaux d'or métallique dans le verre qui lui confèrent une couleur rouge soutenue. La présence de l'arsenic est à la source de la coloration du verre rouge, comme le montre l'article de J. Geyssant dans le catalogue de la récente exposition Perrot d'Orléans49. Une telle maîtrise technique si particulière confirme la transmission de secrets d'alchimistes à Perrot. Ce personnage ingénieux et énergique s'est empressé de les mettre en application et d'en tirer profit.

En illustration de ces productions agrémentées de verre rouge sont reproduits ici plusieurs objets qui figuraient dans la collection du docteur Bénard, dispersée en 2008, avant sa mort50.

Alain Bouthier

  • 1.  ↑  C. Maitte, « Le mystère Bernard Perrot ». Revue des Amis des Musées d'Orléans, déc. 2009.
  • 2.  ↑  C'est un autre Bernardo Perrotto, homonyme plus âgé, qui, recommandé aux échevins de Nevers 1e 5 avril (août ?) 1647, depuis Mantoue, par Marie de Gonzague aurait signé le 29 août 1646 à Altare un acte de société avec Giovanni Castellano (Arch. Di Stato di Savona, not. Rolandi, cité par Maitte, 2004 p.344 et Arch. Munic. Nevers, BB 24 fol° 136). Le même Bernard Perrot aurait été autorisé le 8 août 1647 à « etablir une verrye à Nevers » avec Jean Castellan, et d'autres gentilshommes verriers (ibid.). Il aurait conclu le 23 juin 1651 à Nevers un nouveau contrat de société avec Giovanni Castellano (Arch. dép. Nièvre, 3 E 1 652 Michel nore).
  • 3.  ↑  Lettres enregistrées le 13 septembre 1662, privilège confirmé, enregistré le 14 décembre 1665.
  • 4.  ↑  C. Maitte, 2009, op. cit.
  • 5.  ↑  Registres paroissiaux de Rennes, GGSTPS 1, f° 169. Henri de La Haye Saint-Hilaire Ier du nom, seigneur du lieu et du Plessis Malesse (élevé à la cour de Louis XIII, capitaine de cent hommes d'armes des Ordonnances du Roi, chevalier de l'ordre du Roi, décédé le 21 septembre 1622 à vingt-neuf ans environ, laissant un fils, Christophe, né en 1619, et Marie, née à Rennes (baptisée le 28 mars 1621 en l'église Saint-Pierre en Saint-Georges, parrain Luc Godart conseiller du Roy et président aux enquêtes au Parlement de Bretagne, marraine Jeanne de Ruis dame douairière de Boisgeffroy, bisaïeule maternelle. le tuteur sera André Barrin leur grand oncle).
  • 6.  ↑  Saulnier, Le Parlement de Bretagne (1554-1790). 2de édit., Mayenne, Impr. de la Manutention, 1995, t. 2 : 382-389. Françoise Fouquet de Challain (baptisée le 8 février 1612 en l'église Saint-Pierre en Saint-Georges, décédée le 23 octobre 1665 au même lieu, Durand de Saint-Front).
  • 7.  ↑  BnF, Cabinet d'Hozier, Dossiers bleus 279, 7278 E (Fouquet) : f° 43, 47 et 80 v°.
  • 8.  ↑  Françoise était fille de Christophe I Fouquet seigneur de la Harenchère et de Challain, président à mortier au Parlement de Bretagne et d'Elizabeth Barrin. 
  • 9.  ↑  Veuve, Françoise Fouquet s'était remariée à Paul Hay seigneur de Coeslan et du Châtelet, conseiller au Parlement de Bretagne qui, victime d'une grave maladie, décèdera vers le 9 août 1646 en laissant Siméon, futur comte de Couellan et conseiller au Parlement de Bretagne (vers 1640 – 9 septembre 1683), et Madeleine, qui épousera (contrat du 24 septembre 1659 à Paris) Charles Louis de Simiane, marquis d'Esparron seigneur de Truchenu, appelé le marquis de Simiane, père de Louis III de Simiane, marquis d'Esparron baron de Chalençon dit le marquis de Simiane, époux de Pauline de Castellane Adhémar, petite-fille de Mme de Sévigné. Après ce second veuvage Françoise épousera Sebastien (?) de Rosmadec, baron de Comper.
  • 10.  ↑  Syméon de La Haye, sieur du Plessis-au-Chat (Le Plessis-au-Chat est un manoir en ruine à Dingé, Ille-et-Vilaine), des Vaux (manoir où il demeurait) et de la Coudraye « mourut en très bon catholique âgé de cinquante-quatre ans et fut ensépulturé le 28 mars 1674 », alors que Marie a été accusée de l'avoir empoisonné. Les époux avaient eu des jumeaux, André et Henriette, baptisés le 5 janvier 1642 à Dingé, sans doute morts jeunes.
  • 11.  ↑  Robert de Lamiré est né à Bachimont (à Erquières, Pas-de-Calais) vers 1628. Il est le troisième fils de Simon de Lamiré, chevalier seigneur de Bachimont, Bourseville, Bouillancourt et Allenay et de Bonne de Collant (épousée par contrat du 2 juillet 1618 à Valenciennes). Il a été  reçu chevalier dans l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem le 18 novembre 1652 (avec son frère aîné Simon-Philippe seigneur de Bachimont, Bouillancourt et Allery), puis capitaine au régiment de Picardie par commission du 23 novembre 1663. Il n'était nullement comte.
  • 12.  ↑  Painchard Benoît, 2010, Bernard Perrot verrier émailleur, d'Altare à Orléans. L'homme et son environnement familial (1640-1709). Genverre, Sarrebourg : p. 80-88.
  • 13.  ↑  Minutes consignées dans les archives de la Bastille publiées par Ravaisson, bibliothèque de l'Arsenal.
  • 14.  ↑  Elle s'était retirée huit ou neuf mois à Nantes au couvent Sainte-Elisabeth, et, ensuite, habita avec sa mère pendant sept à huit ans, avant de gagner Paris avec elle ; sa mère repartie en Bretagne, elle logea rue Saint-Honoré chez le comte du Broutay, son cousin germain, puis chez son frère, le comte de La Haye Saint-Hilaire, ensuite elle demeura chez de Dreux, avocat général en la chambre des comptes ; elle fréquentait la bonne société ; elle est ensuite allée en Dauphiné voir sa (demie) sœur Mme de Simiane.
  • 15.  ↑  Renseignements tirés des interrogatoires publiés par Ravaisson, 1870, t. 4 à 7.
  • 16.  ↑  Son (demi) frère, le comte de Coaslan, lui a envoyé 500 écus par le banquier Pupil ; Mme de Simiane lui a prêté des pierreries dont elle a tiré 600 écus ; elle a fait un transport de 8000 livres en (principal et intérêts), à Cousin, banquier à Paris, pris sur sa part, hypothéquée, de la terre des Vaux.
  • 17.  ↑  Gabriel Le Mazier, avocat général du duc d'Orléans, fils de Gabriel Le Mazier, écuyer sieur du Pin (décédé avant 1644) et d'Urbaine Le Tonnelier, époux d'Elizabeth Bessin, fille d'un procureur au Parlement, depuis janvier 1644 (BnF, Pièces originales 1907, n° 43922 : 16), décédé vers 1674, avec une succession obérée par une société de créanciers.
  • 18.  ↑  De Rennes, elle fit transport à son frère de 3000 livres dues par Bachimont, pour reste de la succession de son père, et à Gardin, banquier à Rennes, de 10 000 livres dues par son neveu de la Haye, solde d'un partage successoral. Moyennant ces transports, elle reçut 12 000 livres en deux lettres de change de 2000 écus, l'une de Gardin, l'autre de Thomas et Pupil, qu'elle fit passer à Bachimont. Citations dans Ravaisson, Archives de la Bastille. Documents inédits recueillis et annotés par … Paris, Durand et Pedone-Lauriel, 1870 : t. 4 à 7.
  • 19.  ↑  Ils y étaient sous la surveillance de du Gué, qui tint son neveu Louvois informé « sur la dame de Bachimont et ceux qui la gardent » en août 1679.
  • 20.  ↑  Une lettre de Louvois à La Reynie (23 juillet 1688, citée par Ravaisson, 1870, t. 7 : p.138) suggère que « le moyen d'empêcher que M. de Bachimont et sa femme ne recommencent leurs crieries et à jeter des paquets écrits sur de la toile, c'est de les faire jeûner un mois au pain et à l'eau, comme je l'ai mandé, toutes les fois que pareille chose leur arrivera ».
  • 21.  ↑  «Le colonel Dillon est son oncle, qui demeure à Beauvais, en Picardie, et qui a pension du Roi ». James (Jacques) Dillon, maréchal de camp le 26 mars 1653, a créé un régiment irlandais au service de la France, régiment qui sera dissous à la suite de son décès.
  • 22.  ↑  Renseignements aimablement communiqués par le Dr Harman Murtagh, président de la Military History Society of Ireland.
  • 23.  ↑  Painchard, 2010, op. cit. : p. 88.
  • 24.  ↑  Interrogatoire de Bachimont à Pierre-en-Cize le 27 juin 1678 Arch. Bastille, Ravaisson, 1870, t. 5, p. 23.
  • 25.  ↑  Ibid. : t. 4 : p. 465.
  • 26.  ↑  Ibid. : t. 4 : p. 408, interrogatoire de Vanens à la Bastille, 5 avril 1678.
  • 27.  ↑  Interrogatoire de Catherine Triboulet dans les prisons du château de Pierre-en-Cize le 19 mai 1678, ibid., t. 4, p. 471-472.
  • 28.  ↑  Ibid. : t. 5, p. 34.
  • 29.  ↑  La dernière lettre de Sainte-Colombe à Bachimont est datée de Paris 21 octobre 1675 (Ravaisson, 1870, t. 4 : p. 137).
  • 30.  ↑  Ibid. : p. 23.
  • 31.  ↑  Renseignements aimablement communiqués par Janette Lefrancq, d'après Fettweis Henri « Les verreries de Bruxelles », p. 151-163 : p. 154, in Engen Luc, 1989, Le verre en Belgique. Anvers, Mercator.
  • 32.  ↑  Vergé-Franceschi, 2003, p. 170.
  • 33.  ↑  Lettre de Barbezieux à La Reynie du 9 novembre 1691, citée par Ravaisson, 1870, t. 7, p. 149.
  • 34.  ↑  Il fut baptisé à Aix Saint Sauveur le 10 janvier 1629 (Boisgelin ). Chevalier de Malte, selon Ravaisson et Vergé-Franceschi, officier des galères du Roi, il est passé au service du duc de Savoie, devenant major au régiment de la Croix-Blanche à Verceil.
  • 35.  ↑  Funck-Brentano, 1918, p. 108-116 et 111. Louis de Vasconceles y Souza, comte de Castelmelhor avait été le favori du roi de Portugal Alphonse VI.
  • 36.  ↑  C. Maitte, 2009, op. cit.
  • 37.  ↑  Il est précisé ailleurs qu'il ne s'agit pas de tourbe ! Lettres patentes, BnF, F 23612 (884).
  • 38.  ↑  Arch. dép. Nièvre, 3 E 1 1045 Vincent nore.
  • 39.  ↑  Bringuier, 1973, p. 7-9.
  • 40.  ↑  Privilèges … BnF, Vp 2528.
  • 41.  ↑  Gabriel Le Mazier, avocat au Parlement, a été l'objet des railleries de Boileau (« Non non tu n'iras point, ardent bénéficier, Faire enrouer pour toi Corbin ni Le Mazier » (Epitre II, 1669, à l'abbé des Roches) et « Où Patru gagne moins qu'Huot et Le Mazier » (Satire I, vers 123) et dans une lettre à Brossette il précise à l'abbé Guéton « avocats, grands Gueuliers, c'est ainsi qu'on les appelait, et estimés malhonnêtes » (Correspondance entre Boileau Despréaux et Brossette, publ. par A. Laverdet, 1858, Paris, Techener : p. 475) et l'appréciation de ses talents d'avocat n'est pas flatteuse : « Ces deux avocats étoient d'un mérite fort médiocre, ils ne laissoient pas d'être fort employés ; parce qu'ils se chargeoint de toutes sortes de causes, bonnes & mauvaises, & les défendoient avec beaucoup de bruit » (Œuvres de Nicolas Boileau-Despréaux, nouvelle édition avec des éclaircissements de Mr des Maizeaux Dresde, Georges Conrad Welther, 1767, t. I, p. 25.) (la marquise n'était-elle pas impliquée dans le procès du marquis de Pransac plaidé par Le Mazier - Alexandre de Redon marquis de Pransac, tenta vainement pendant les années 1660-70 de faire reconnaître sa prétendue parenté avec la maison de Dreux, d'ascendance royale, cf. BnF, Cabinet d'Hozier, Dossiers bleus, 242 (Dreux), f° 66, 69, 107, 153, 189, etc.)  « Huot et Le Mazier faisaient grand bruit et fortune au barreau » (Œuvres poétiques de Boileau-Despréaux, notes E. Geruzez, Paris, Hachette, 1878.) et « Huot et Le Mazier se chargeoient de toutes les causes bonnes ou mauvaises, et les défendoient avec un bruyant bavardage. Ils firent fortune » (Œuvres complètes de Boileau-Despréaux, Stéréotype d'Herhan, Paris, impr. A. Belin, 1813, t. I, p. 59, notes Satire I). Le Mazier, décédé peu après (1674 ?), n'a pas fait fortune, car sa succession fort embrouillée a été réglée par ses créanciers.
  • 42.  ↑  Arch. Paris, les sentences ou plumitifs d'audience de la juridiction consulaire (D 2 B6) et les actes de caution et de société (D 3 B6) ne sont conservés qu'à partir de janvier 1680.
  • 43.  ↑  Interrogatoire de Vanens à la Bastille, 29 avril 1678, Arch. Bastille, Ravaisson, 1870, t. 4, p. 423.
  • 44.  ↑  Interrogatoire de Bachimont à Pierre-en-Cize le 27 juin 1678, Arch. Bastille, Ravaisson, 1870, t. 5, p. 26.
  • 45.  ↑  ex-ouvrier à la Manufacture des glaces du faubourg Saint-Antoine à Paris.
  • 46.  ↑  Lettres patentes, BnF, Vp 2528.
  • 47.  ↑  « Factum pour Nicolas de Massolay … contre Bernard Perrot … et Louis Potherat … », BnF, f° Fm 10845.
  • 48.  ↑  du Pradel : t. II, p. 41.
  • 49.  ↑  J.Geyssant, in Bernard Perrot 1640-1709. Secrets et chefs-d'œuvre des verreries royales d'Orléans 2010, p. 51.
  • 50.  ↑  Ma gratitude va à Mme Janette Lefrancq, au dr Harman Murtagh, à Me Eric de La Haye Saint-Hilaire et à M. Christian de Valence pour leur aide précieuse.