Verre et innovation : Filière numérique,
processus de création et de fabrication verrière
Denis Garcia
Directeur du Centre européen de recherches et de formation aux arts verriers (CERFAV)
Vannes-le-Châtel (France)
Gérard Jeandel
Professeur au Lemta, Nancy-Université, CNRS (France)
Président de Revelor
À la fin des années 1980 est né le concept de Plate Forme Verrière, initialement en réaction aux plans successifs de licenciements qui menaçaient la pérennité des cristalleries installées depuis plus de deux siècles dans le village de Vannes-le-Châtel (550 habitants).
Aujourd'hui, le Cerfav (Centre européen de recherches et de formation aux arts verriers), Pôle d'Innovation pour les métiers du verre, forme des concepteurs-créateurs et coordonne l'activité de designers, d'artistes, de chercheurs, de techniciens.
Depuis deux à trois ans à Nancy, les centres techniques tels que le Cerfav, le CIRTES, les manufactures de Baccarat et Daum et les laboratoires au travers de l'association Revelor travaillent pour permettre la modélisation de l'écoulement du verre dans les moules. Vérifier la faisabilité d'une pièce à l'écran, c'est restituer de la liberté aux artistes, c'est favoriser l'édition de davantage de modèles et de gammes renouvelée plus fréquemment.
Déjà quelques applications ont été permises par ces études.
An increasingly user-friendly interface of virtual modeling gives new creative possibilities to artists using glass as a medium.
Since two or three years, the CERFAV together with Baccarat Daum and university laboratories from Nancy, now all united in the REVELOR association, have been working together to unlock technological challenges and allow a better understanding of glass flows in moulds. The ability for artists to visualize 3D-models on screen gives them a greater sense of freedom and expands creative possibilities: more sketches and a more frequent renewing of pieces are made possible.
Some applications have been shown at the CERFAV, directly issued from the program. It is a profound evolution in the editing process of glass and crystal objects.
Depuis bien longtemps les progrès technologiques n'avaient pas eu d'impact sur l'amélioration des techniques de mise en œuvre du verre jusqu'à l'apparition toute récente de nouvelles possibilités offertes par la technologie numérique.
Depuis un siècle, les procédés de moulages se sont effectivement sophistiqués pour répondre aux besoins de la production de masse de la grande industrie. Les verres sont devenus « intelligents », « techniques », ils servent de support, de conducteur, intègrent des diodes, se révèlent autonettoyants, sécurisés, s'éclairent, s'opacifient et s'appliquent dans de multiples situations, de l'architecture à la prothèse chirurgicale. Par contre à l'opposé, le verre, médium exploité par l'artiste ou l'artisan, s'est davantage heurté à de fortes contraintes de maîtrise et de sauvegarde de savoir-faire ancien plutôt qu'à lorgner du côté d'éventuelles innovations.
Mais voici que s'entrevoient de nouvelles possibilités qui changent déjà le regard porté sur le verre : les technologies numériques initialement conçues pour répondre à des problématiques industrielles de prototypage rapide et d'édition de moules en délais raccourcis, et probablement entre opérateurs de fabrication géographiquement distants, constituent une ressource qu'explore à présent le Cerfav, ses techniciens et artistes plasticiens.
Quelles sont ces nouvelles technologies du numérique ? Dans quelles conditions s'appliquent-elles au matériau verre ? Comment peuvent s'en saisir les créateurs et artistes ?
le Cerfav et Revelor
Deux acteurs de l'innovation du verre en Lorraine :Le Cerfav est une structure originale créée en 1991, labellisée Pôle National d'Innovation, qui provoque la rencontre entre jeunes étudiants, artisans, artistes, designers, historiens, industriels, chimistes et hauts techniciens. L'idée originale qui perdure aujourd'hui grâce à ces rencontres « interdisciplinaires », est de pouvoir favoriser l'abord du matériau verre et de permettre à de jeunes artistes d'en dépasser les limites techniques pour créer et réaliser.
Ainsi, toujours à l'affût des innovations et des moyens qui permettent de s'affranchir des contraintes matérielles de création, le Cerfav après avoir fortement œuvré pour la sauvegarde et la transmission de savoir-faire, développe une activité soutenue et méthodique de veille technologique et de recherches appliquées. Ceci lui permet de mettre au service des concepteurs et créateurs les procédés de réalisation pertinents et à la pointe du progrès, ou, mieux, d'anticiper, de suggérer de nouvelles exploitations et pistes de développement ou d'expression.
Le Cerfav mobilise chaque année entre 60 et 80 intervenants différents pour une centaine d'élèves et dispose d'un plateau multi-techniques exceptionnel au plan européen. Parallèlement, le centre s'est doté des équipements nécessaires à l'analyse du matériau verre (dilatomètre, polariscopes, centrale de mesures de températures, outils de modelage virtuel etc.) et à la compréhension de ses caractéristiques physico-chimiques pour ce qu'il est utile d'en connaître pour un artisan, un artiste, une PME telle que Daum, Baccarat ou toute autre manufacture.
La Lorraine ne dispose pas de laboratoire dédié au verre. Par contre, de nombreux laboratoires lorrains publient et collaborent avec des industriels sur la caractérisation, l'utilisation et la mise en forme du verre.
Pour cette raison, Revelor associe et réunit plusieurs fois par an les partenaires universitaires et industriels qui la composent pour parler de problèmes concrets et pour faire émerger des projets communs. La mise en forme du verre a été la thématique jugée prioritaire par notre association ce qui a conduit à un dépôt de dossier dans le cadre de l'ANR (Agence Nationale de la Recherche) soutenu par le pôle de compétitivité lorrain Matéralia (ex MIPI d'où le nom donné à ce projet de MIPIVERRE).
Les rencontres entre industriels et universitaires se sont alors multipliées permettant d'évacuer les réticences et pseudo-secrets et de traiter les problèmes industriels, sans tabous. Il s'en dégage un partenariat actif qui facilite la recherche de solutions innovantes dans ce secteur d'activité qui nous préoccupe.
Les technologies numériques
L'édition rapide de prototypes est devenue courante dans l'industrie car elle permet de concrétiser un objet très voisin de la forme finale souhaitée sans passer par l'édition d'un moule. Selon les besoins et contraintes, cette épreuve peut être en papier, en polymère, en mousse ou tout autre matériau. Elle rend compte assez précisément de ce que pourra donner l'objet final lorsqu'il sera édité en « bonne matière ».
Les technologies évoluant, ce processus qui commence par un travail d'image à l'écran, est de moins en moins affaire d'informaticiens grâce à des outils interactifs, véritables prolongements de la main et susceptibles d'être pilotés après quelques heures de formation.
Fig. 1. Ici le bras Sensitive « Free Form » du Cerfav permet de modeler un bloc virtuel de cire ou de terre
© CERFAV.
Le modeleur, et non plus l'informaticien, peut choisir entre plusieurs outils de modelage, il peut enlever de la matière, en ajouter.
Toutes les possibilités d'un logiciel de traitement d'image permettent ensuite de faire varier l'échelle, de jouer sur des symétries, des collages d'éléments répétitifs, de travailler des effets de matières ou encore de reprendre l'image, de procéder à des retouches.
La démultiplication d'objets est alors aisée et ne nécessite plus le modelage d'un nouvel original. Travailler un modèle réduit d'un objet édité n'est plus qu'une affaire de zoom.
En complément de ces possibilités, notons que l'image en trois dimensions (3D) travaillée peut être le résultat d'une numérisation d'un objet existant constituée sans même avoir touché cet objet. Ceci représente un avantage certain pour la réparation ou la reconstitution de pièces de musée.
Ce type de procédé, y compris si on se limitait à un travail sur ordinateur, constitue une innovation en soi car il favorise une aide à la décision et notamment pour le matériau verre où les rendus de couleurs peuvent être déterminants dans l'appréciation de la pièce finale.
Le maître modèle
L'étape suivante du processus consiste à éditer le maître modèle de la pièce. Plusieurs procédés sont possibles grâce à des machines d'usinage ou des « photocopieuses » 3D qui dressent le modèle par frittage de poudre en couches successives de quelques microns, par découpe puis assemblage de plaques (stratoconception) qui reconstituent le modèle virtuellement tranché.
Ces technologies sont déjà employées pour les matériaux non-vitreux pour lesquels la modélisation du remplissage du moule par le matériau (polymères notamment) est technologiquement possible. Le verre par ses contraintes (conduction thermique et échanges thermiques avec le moule, transparence) n'a pu être traité.
Le Cerfav constatant ces limites a sollicité ses partenaires universitaires nancéiens pour lancer un ensemble de recherches sur ce thème durant 6 années. Ce travail a fait l'objet d'un agrément par le pôle de compétitivité MIPI-Matéralia.
Visualiser la faisabilité d'un objet
La modélisation de l'écoulement dans le moule permettra, sans avoir procédé à aucune édition, de visualiser la faisabilité d'un objet préalablement conçu, de vérifier l'adéquation du moule au projet et de procéder à une « rétro-conception » permettant de retoucher ou le moule ou le modèle original sans forcément remettre en cause l'intention esthétique initiale. Les chercheurs ont à résoudre des problèmes originaux qui donnent lieu à des publications ; les centres de transfert comme le Cerfav et le CIRTES font le lien avec les industriels.
Fig. 2. Schéma simplifié de filière numérique. Test de pâte de verre au Cerfav d'après un moule réalisé par strato-conception en plaques de plâtre par le CIRTES dans le cadre des recherches menées dans le cadre du Pôle de compétitivité MIPI-Matéralia avec les laboratoires Lemta, LSGS, les verriers Daum et Baccarat, et l'association Revelor. 2008 © CERFAV.
Comme décrit ci-contre, la filière numérique trouve toute sa pertinence et est en passe de transformer les attitudes des verriers par les avantages qu'elle permet :
- La faisabilité est analysée avant l'engagement d'investissements type moules métalliques onéreux et les décisions de réalisation sont donc elles-mêmes facilitées.
- Les choix esthétiques sont facilités par la visualisation préalable.
- Les conceptions de gammes et de déclinaisons sont immédiates et sans investissements spécifiques supplémentaires.
- La démultiplication de collections est plus aisée permettant une offre renouvelée plus soutenue à la clientèle.
- Les délais, les coûts de réalisation et la souplesse dans l'organisation du travail plus forte améliorent la rentabilité.
La conception virtuelle de formes innovantes
Fig. 3. Edition d'une pâte de verre. Philippe Garenc, plasticien – Cerfav. Petite maison, pâte de verre d'après impression numérique, création Philippe Garenc, juin 2008. Cliché © Fonds photographique Cerfav.
Ici la pièce est composée de détails et d'une précision impressionnante tout en présentant un excellent état de surface.
Plus encore cependant, ces technologies servent le créateur pour développer des formes qui n'auraient pas été réalisables par les procédés manuels traditionnels.
Ainsi, nous avons à notre portée aujourd'hui des éditions de maîtres modèles directement en cire, cire à partir de laquelle nous allons réaliser un moule plâtre et développer le procédé habituel d'édition.
Grâce à cela, nous pouvons concevoir des pièces riches en détails et en précisions que la main n'aurait pu réaliser.
Notons parallèlement les progrès importants réalisés par l'imagerie numérique et les rendus de transparence de plus en plus réalistes qu'elle permet et qui là encore vont servir le verrier dans ses choix et bien évidemment ceux de ses donneurs d'ordre et clients.
Les images ci-dessous sont purement virtuelles. Aucun des objets n'a été réalisé.
Conclusion
La présence de verriers et cristalliers en Lorraine n'est évidemment pas étrangère au fait qu'on y trouve des centres techniques et de création tels que le Cerfav et des laboratoires à la pointe de la recherche sur le verre, et aujourd'hui fédérés au sein de l'association Revelor. Ces récentes dernières années, ces cristalliers jusqu'alors concurrents ont su échanger et réunir les moyens pour mener des recherches et faire face en commun à la rude concurrence internationale.
Si la maîtrise du matériau verre ou cristal (secrets de composition et de fusion), la qualité des savoir-faire et de sa formation étaient autrefois des atouts essentiels, ils n'apparaissent plus aujourd'hui que comme un moyen. La bataille se joue à présent sur la capacité à créer et proposer rapidement des produits nouveaux et toujours plus personnalisés et ciblés.
La motivation à maîtriser les nouvelles technologies liées au numérique tient en premier lieu à la série d'avantages qu'elles apportent comme l'amélioration des process de fabrication par la réduction des délais de mise au point de moules, la conception de gammes et de répliques de modèles à moindre frais, la prise de risques de fabrication diminuée grâce à la simulation et l'image.
Mais il s'avère de surcroît que ces technologies numériques peuvent constituer un outil nouveau servant la création d'objets qui n'auraient pu être réalisés autrement. L'exemple des petites maisons conçues par Philippe Garenc et éditée en pâte de verre par le Cerfav, est patent : modèle simple a priori, mais composé de multiples détails à l'intérieur qui tiendraient de la prouesse si cela avait été « fait main ».
L'inter-relation entre innovation et création est dans ce cas très étroite : les « verrous technologiques » qui se lèvent (capacité de mesurer les températures du verre en fusion en tous points, capacités à introduire les paramètres radiatifs aux codes de simulation) ouvrent sur de nouvelles possibilités livrées à l'imagination des artistes et designers. Déjà ils explorent de nouvelles questions et les travaillent avec de nouvelles propositions et de nouveaux référentiels.
Le Cerfav met ces technologies entre les mains de ces artistes et concepteurs verriers et par une activité de veille approfondie, il identifie toutes les innovations qui apparaissent et qui peuvent se prêter au travail du verre.
De jeunes plasticiens proches du Cerfav tels Philippe Garenc ou encore Emmanuel Stztuka prennent déjà à leur compte ces technologies associées à la mise en œuvre du verre.
Denis Garcia et Gérard Jeandel
www.idverre.net
Centre européen de recherches et de formation aux arts verriers (CERFAV)
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Tel. 00-33 3 83 25 49 90