Les innovations dans le verre lorrain
Valérie Thomas
Conservateur en chef
Musée de l'École de Nancy (France)
Depuis l'Antiquité, le verre est présent en Lorraine. Les fouilles archéologiques ont mis au jour, dans différents sites et villes, de nombreux témoignages de cette activité verrière de l'époque gallo-romaine jusqu'à la Renaissance. Au XVIIIe siècle, des verreries ont été fondées dans divers lieux de Lorraine, au nord avec Meisenthal et Saint-Louis, à l'est avec Baccarat, Portieux et Vallérysthal. Leur développement a été facilité par la période de stabilité politique qu'a connu la région après avoir subi de nombreuses guerres et s'être trouvée au cœur des conflits européens. Cette position frontalière a cependant profité aux verriers lorrains qui ont été mis au contact des diverses traditions du sud et du nord de l'Europe et ont bénéficié des dernières recherches et innovations dans leur domaine de production.
Au cours du XIXe siècle, ces verreries se sont accrues jusqu'à devenir de véritables manufactures à la production variée mais de plus en plus dominée par la gobeleterie. Le verre a pris, vers la fin du siècle, une autre dimension avec les créateurs Gallé et Daum. Si ces derniers se revendiquent alors comme industriels d'art et continuent à produire des services de table, dans le domaine des objets d'art, ils vont connaître la consécration. Gallé et Daum s'appuient sur le savoir-faire, les connaissances et la maîtrise technique acquises depuis plus d'un siècle par les manufactures locales. Forts de ces traditions, ils se lancent dans diverses recherches et innovations autour des colorations, des effets de matière, des superpositions de couches de verre colorées, des décors gravés à la roue et à l'acide, et parviennent à créer des œuvres inédites. Il ne s'agit pas seulement de proposer des objets nouveaux par leur décor mais également d'innover dans les formes et les effets de matière. C'est dans la nature que Gallé et Daum recherchent de nouvelles sources d'inspiration tant pour servir le motif que les structures des vases, des coupes ou d'autres objets. Ils mettent en œuvre de nouveaux procédés techniques qui contribuent à ce répertoire naturaliste, et tentent de restituer certaines matières propres aux végétaux et aux insectes ou d'évoquer certains effets atmosphériques. En 1898, Gallé déposera deux brevets pour la marqueterie de verre et la patine alors que le décor intercalaire fera l'objet d'un dépôt de Daum en 1899. Ces brevets attestent de leurs innovations mais aussi de leur volonté de se protéger des copies. Si ces recherches sont menées dans un but de renouveau, elles n'empêchent pas ces artistes-verriers de bien connaître, d'étudier le verre depuis l'époque antique jusqu'au XIXe siècle, et de réutiliser certaines techniques anciennes comme la pâte de verre chez Daum, les formes ou les motifs antiques chez Gallé, chez Daum ou à la verrerie de Meisenthal.
Au XXe siècle, la manufacture Daum poursuit sa production artistique, toujours à l'écoute des innovations techniques mais également de l'évolution esthétique. La mort d'Émile Gallé en 1904 et l'absence d'une réelle direction artistique ne permettent pas à cette entreprise de se renouveler et entraînent sa fermeture à la fin des années 1930. La réputation des œuvres de verre de l'École de Nancy amène René Lalique en 1921 à installer une verrerie à Wingen-sur-Moder, à quelques kilomètres de Saint-Louis, afin d'y poursuivre et développer sa production de verre, de flacons et d'objets d'art, mais aussi d'éléments décoratifs. Ce choix devait lui permettre de bénéficier du savoir-faire et de la tradition acquis depuis plus de deux siècles, par les manufactures locales et ceci, non pas dans un but de pastiche, mais au contraire, afin d'être au service des innovations artistiques et techniques de son époque.