Les dimensions
Fig. 2 : Les verres à vitres grugés de Tirlemont (photo par Harrie Spelmans, Erfgoedcentrum Tienen).
Aucune plaque entière de verre n'a jamais été mise au jour en Belgique ; les seuls vestiges se limitent à des morceaux. Parfois plusieurs fragments sont jointifs, mais n’atteignent pas plus de 30 centimètres sur 30. Le manque de verres plats complets est entre autre dû à la pratique de découpe des vitres aux dimensions voulues avec un grugeoir avant de les enchâsser. En effet, elles devaient faire partie de fenêtres insérées dans des cadres en bois ou en fer. Un bel exemple de grille en losanges de fer a été trouvé à Zeugma (Fontaine & Foy, 2005, p. 22, fig. 7). Plusieurs fragments de verre plat trouvés à Tirlemont dans un contexte datant du deuxième quart du iiie siècle (Thomas, 1983, p. 336-337, n°340) renforcent cette hypothèse. Provenant d’une fosse dépotoir remplie de tuiles, de marbres et de fresques, ces fragments de verre plat ont été retaillés en petits carreaux de taille presque identique, soit environ 9 × 9 centimètres (fig. 2). Deux et parfois même trois côtés de ces carreaux sont coupés à la pince afin de les adapter à la dimension voulue. Cette méthode est aussi attestée sur des fragments de la villa de Champion-Hamois (Van Ossel & Defgnée, 2001, p. 162, fig. 142, 1-2). Ce matériel, du type coulé et étiré, est assurément daté du Haut-Empire et délibérément remanié avec un grugeoir. L'utilisation du grugeoir est pourtant généralement attribué au Haut Moyen Âge, à partir du ve siècle, et typique des vitrages réalisés suivant la technique du soufflage (Foy, 2005, p. 59-64). Une tombe à Minusio en Italie a livré un exemple similaire aux exemples belges, daté du premier quart du ier siècle de notre ère. (Biaggio Simona, 1991, n° 163.2.026, tav. 49). Le verre à vitre est du type coulé et étiré et mesure 5,5 centimètres sur 5 avec une épaisseur de 0,3 centimètre. Trois bords sont retaillés avec un grugeoir. Si les Romains ont, dès le début de la production du verre plat, utilisé une pince pour atteindre une forme ou une dimension voulue, ce pourrait être une des raisons majeures de la naissance de la fabrication des vitres en verre. La production, plus facile, plus rapide, et surtout plus économique des verres à vitre, permettait, contrairement aux pierres taillées, une plus large diffusion dans la partie occidentale de l’Empire.
Des fragments de verres à vitre coulés et étirés, réutilisés dans des vitrages composites du Bas-Empire, suggèrent que ce type de verre plat était toujours en usage bien après l’arrêt de la production. Une thèse de doctorat non publiée traite des matériaux de construction à Sagalassos en Turquie. Elle démontre qu’il existait là une nette préférence pour le verre coulé jusqu’au début de la période byzantine (vie siècle), alors qu’ailleurs, la technique du soufflage en cylindre était courante depuis longtemps (von Saldern, 1980, p. 91 ; Loots, 2001, p. 303).
L’hypothèse proposée laisse supposer que le verre plat coulé et étiré, d'une épaisseur atteignant jusqu’à 7 millimètres, devait avoir une valeur d’isolation thermique nettement meilleure que les verres à vitre soufflés, d'une épaisseur moyenne de 2 millimètres. Cette isolation thermique est une nécessité dans une ville de montagne où il peut faire très froid en hiver (Loots, 2001, p. 303-304). Un calcul du « coefficient k » peut résoudre la question de la résistance thermique entre les vitres coulées et soufflées (tab. 1)2.
Bien que la méthode de calcul du coefficient de transmission thermique (k) soit basée sur la formule : 1/k = 1/hi + 1/he + R, on n’a pas pris en compte les coefficients d’échanges thermiques superficiels entre les faces du vitrage et l’ambiance intérieure et extérieure (hi et he). La formule est donc réduite à k=1/R, le coefficient de transmission thermique (k) est alors égal à 1, divisé par la résistance thermique du vitrage de face à face (R). Celle-ci est égale à l’épaisseur du verre (d) en mètre, divisée par la conductivité thermique du verre (?) en Watt/mètre-Kelvin et la valeur de référence de la conductivité du verre est égale à 1 W/mK. Ceci pourrait nous donner le très simple calcul de l’épaisseur du verre, divisé par 1, ou, autrement dit, l’épaisseur même. Certes, on doit tenir compte de la résistance thermique des espaces d’air (Rg). Dans le cas où le verre est monté verticalement, cette résistance thermique est égale à 0,17 m2 K/W. En prenant en compte l’épaisseur du verre à vitre avec la résistance thermique des espaces d’air, le verre coulé a une résistance thermique R qui varie entre 0,172 et 0,174 m2K/W (R = ∑d/? + ∑Rg), comme le tableau le démontre. La résistance thermique du verre soufflé, quant à lui, est de 0,1720 m2K/W. Pour terminer ce calcul avec la formule k = 1/R, le flux thermique (k) varie pour le verre plat coulé entre 5,747-5,814 W/m2.K et pour le verre soufflé il est de 5,814 W/m2.K.
Le coefficient de transmission thermique (k) indique donc que par mètre carré (m2) le verre perd par degré Kelvin (K), entre la température de l’intérieur et celle de l’extérieur, une énergie ou chaleur par heure calculée (W/h), c'est-à-dire entre 5,747 Watt/h (le minimum du verre coulé) et 5,814 Watt/h (le maximum du verre coulé et du verre soufflé). Par exemple, si en hiver il fait 0°C à l'extérieur et, qu'à l’intérieur, il fait 20°C, la différence de température est de 20 degrés. Prenant les résultats extrêmes des deux types de verre plat, un mètre carré de vitrage revient à une perte de chaleur respective de 114,94 Watt/h et 116,28 Watt/h. Puisque les fenêtres des maisons romaines et même les surfaces en verre des grandes fenêtres de la plupart des bains étaient de petites dimensions, la différence de 1,34 Watt/h par mètre carré entre les deux types de verre à vitre est totalement négligeable.
Des raisons autres que la résistance thermique et que probablement, l’isolation phonique, ont dû jouer un rôle d’importance dans l’introduction de la technique du soufflage en manchon et dans l'abandon de l'usage du verre coulé et étiré au Bas-Empire. Le désavantage du verre coulé tient à son épaisseur irrégulière. L’épaisseur de ce type de vitrage varie en Belgique de 1,5 à 7 millimètres, mais la moyenne se situe entre 3,5 et 4 millimètres. Ceux de la villa de Champion-Hamois sont d’une épaisseur moyenne de 3 millimètres. Cette technique a pour conséquence que beaucoup de verre a été « consommé » inutilement. L’introduction de la technique de soufflage en manchon résultant de verres d'épaisseur uniforme (variant entre 1,5 et 3 millimètres) a permis d’améliorer la capacité de production en économisant une masse de verre brut. Mais quel est le contexte socio-économique où pouvait se développer cette évolution ? Il est clair que, dans une situation économique où la matière brute se fait rare et où la demande ne diminue pas, une technique plus économique s'avère nécessaire. Doit-on chercher la raison principale dans la croissance massive de la demande pour des verres plats, alors que les verriers n'avaient ni la capacité de produire plus de verre brut, ni la possibilité de s’en procurer plus ? D’autres raisons socio-économiques peuvent être à la base de ce changement au iiie siècle, peut être un dysfonctionnement économique entraînant un coût trop élevé du verre brut : seules des innovations technologiques auraient sauvé les ateliers verriers de la faillite. Bien sûr, il se peut aussi qu’un verre plat moins coûteux, obtenu par la technique du soufflage en cylindre – connue comme une invention de la région méditerranéenne orientale – ait été néfaste pour la position concurrentielle des verreries – secondaires – d'Occident.
∧ Haut de pageL'enchâssement
Certains fragments ont conservé en bordure des restes de mortier rose (Massart, 1981, p. 188), ou parfois blanc : ceux-ci donnent des renseignements sur la manière dont les Romains ont pu réaliser l’enchâssement. Plusieurs sites en Belgique (Braives, Tongres, Tirlemont, Champion-Hamois, Villers-le-Bouillet, Piringen, Broekom) ont livré de tels fragments. Quelques-uns portent même des traces de peinture rouge (Villers-le-Bouillet) (fig. 3), comme un morceau de la villa de Bollendorf (Allemagne) près de la frontière luxembourgeoise (Goethert-Polascheck, 1978, p. 189). Ces exemples font penser à une fenêtre connue du monastère copte de Baouit en Egypte (Bénazeth, 2005, p. 127, fig. 136).
On relève exceptionnellement de la maçonnerie rose ou blanche sur les deux faces, comme l'atteste un fragment de Tongres « Hondstraat ». A l’exception d’un bord fragmentaire d’une vitre de type coulé de la villa de Champion-Hamois, lequel possède encore une partie de la couche de mortier de chaux (Van Ossel & Defgnée, 2001, p. 163, fig. 142:3), de très beaux exemples ont été mis au jour dans la couche d’occupation au fond de la cave de la villa de Villers-le-Bouillet (fig. 4a). Ces traces de mortier sur le bord de plusieurs fragments de verre à vitre romain montrent clairement que ces panneaux de verre étaient fixés au châssis par de la maçonnerie. Ces panneaux carrés ont-ils été utilisés pour sceller une ouverture circulaire dans un cadre de fenêtre en stuc comme on peut voir dans les thermes de Marea en Egypte (Kucharczyk, 2005, p. 124, fig. 132a-b) ? Le plus souvent, le mortier n’apparaît que d’un côté, ce qui indique que la fixation se fait sur une croisée de bois ou de fer.
La couche de mortier rose présente une largeur variable. On peut distinguer un premier groupe caractérisé par une bande de mortier large de 1 centimètre au maximum, et un autre groupe où la bande de mortier est supérieure à 2 centimètres de large. Quelques exemples de la villa de Villers-le-Bouillet excèdent même les 4 centimètres (fig. 4b). Selon une hypothèse, le verre à vitre est maintenu par du mortier contre, ou dans un châssis en bois ou en métal (fer, bronze, cuivre), châssis lui-même maçonné dans le bâtiment. D'après la distribution du matériel archéologique de la villa de Champion-Hamois (Van Ossel & Defgnée, 2001, p. 186-196, fig. 158-174), on relève une répartition identique des vitres et du plomb. Il s’avère que ces deux matériaux sont étroitement liés aux bains et au bâtiment d’habitation, avec une fréquence maximale autour des bains (Van Ossel & Defgnée, 2001, p. 196). Des fragments de verre enchâssés dans une baguette de plomb (Kisa, 19682, p. 363 ; Goethert-Polasckek, 1978, p. 186 ; Blondel, 1993, p. 54) et des fragments de verre aux bords retaillés nous font présumer que le plomb découvert dans les vestiges des villae romaines n’est pas seulement réservé aux tuyauteries, mais sert également à la fixation des vitrages, peut-être déjà dès le Haut-Empire.
Une étude plus approfondie sur la maçonnerie pourra dire s’il est possible d'établir une classification en fonction de la composition du mortier, de sa place sur une ou deux faces et de la largeur de l’emprise du mortier. Ces caractéristiques techniques sont-elles significatives d’une évolution ?
∧ Haut de pageConclusion
L’étude du verre à vitre romain en Belgique apporte quelques nouvelles données. Sur le plan technique, il est maintenant prouvé que, dès le Haut-Empire, le grugeoir a été utilisé pour atteindre les dimensions voulues. L’étude du verre plat romain nécessite que l'on s'attache à l'étude des autres matériaux de construction afin de progresser du point de vue des grilles et de l’enchâssement. Enfin, une recherche expérimentale sur la façonnage serait nécessaire afin de comprendre, d’une manière exacte, comment le verre plat romain à surfaces lisse/rugueuse a été façonné.
2. Je voudrais exprimer ma gratitude envers ir. Jos Nys, non seulement pour la formule sur le calcul de la résistance thermique mais, surtout, pour toutes ses précieuses explications qui ont permis d’aboutir à des résultats corrects. ↑