Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Sophie LAGABRIELLE
Conservateur en chef
Musée national du Moyen Âge, Paris (France)

Les fenêtres des rois et des princes (xive-xve siècles)

Que nous apportent les comptes des bâtiments des rois et des princes aux xive et xve siècles dans la connaissance du type de fenestrage en usage chez les plus fortunés à la fin du Moyen Âge ? Les informations y sont très ténues et éclatées, d’une exploitation souvent difficile, mais leur comparaison amène quelques réflexions.

Dans les châteaux et hôtels de l’ensemble du royaume, les mentions de toiles cirées sont régulières tout au long des xive et xve siècles. Soumises à une source de chaleur, les toiles sont tendues sur un châssis, fixé par des clous que des galons permettent de cacher.

Depuis le début du xive siècle, l’usage du vitrage est avéré dans les demeures royales, archiépiscopales, ducales ou comtales. Il occupe de larges surfaces dans les chapelles, et dans certaines grandes salles. De couleur blanche, le verre peut être mis en valeur par un décor végétal animé, des bordures, et très souvent des armoiries, que réalise le « pointre » ou le vitrier de la ville la plus proche. À partir du xive siècle, il s’introduit, plus ou moins rapidement selon les implantations géographiques, dans les chambres, les « galetas » et les lieux d’étude. Le coût du vitrage, beaucoup plus important que celui des toiles, ne semble cependant pas représenter un investissement très important. Il est vrai que, hors des grandes pièces d’apparat, il ne serait employé qu’en faible proportion.

What do our investigations into royal and princely accounts during the 14th and 15th centuries can bring out concerning the window types in the richest houses at the end of the Middle Ages? Information is scarce and scattered, often difficult to interpret but a comparison might lead to some remarks.

In the kingdom’s castles and estate houses, there is regular mention of oiled linen during that period. These linen while heated, are stretched on a frame and are fixed with nails covered up by tape.

Since the beginning of the 15th century, the use of glazing is certain in royal, high ecclesiastical, and in the dukes or counts’ residences. Transparent glass can be highlighted by a decorative décor with natural scenery, decorative borders and very often coats of arms painted by a glass painter or a glazier of the nearby city. From the 16th century onwards, glass is seen in bedrooms, “garrets” and study rooms. The cost of glazing though much higher than that of the canvases, doesn’t amount to a very important investment. It can be said that with the exception of court rooms it is used in small proportions.

Enluminure : Jean Bourdichon, L'homme misérable

Fig. 1 : La fenêtre la plus élémentaire du Moyen Âge. Jean Bourdichon (vers 1457-1521), Les quatre Etats de la société, l’Homme misérable ou l’Etat de pauvreté, enluminure sur parchemin, Paris, Ecole nationale des Beaux-Arts, Mas 91 © RMN / Agence Bulloz.

Élément ordinaire du cadre de vie, la fenêtre des demeures du Moyen Âge peut-elle constituer un sujet d’étude ? Se présente-t-elle très différemment des fenêtres que nous connaissons et, pour ce qui nous intéresse ici, quelle place réserve-t-elle au vitrage ? Autant les fenêtres du début du xxie siècle n’ont plus rien à voir avec celles du xixe siècle, autant il est difficile d’imaginer une fenêtre du Moyen Âge. La fenêtre n’y est jamais décrite en tant que telle. Pour tenter de la reconstituer, les recherches doivent se faire à partir de sources variées, iconographiques (souvent très imprécises), littéraires (plus poétiques qu’objectives) ou comptables (d’une exploitation difficile car fragmentaires).

Percées dans un mur – généralement en pans de bois – et fermées, non de vitres mais de volets de bois si l’on en croit l’iconographie, les ouvertures des habitations ordinaires du Moyen Âge ne méritent pas ici d’attention particulière (fig. 1). À l’inverse, les fenêtres des rois et des princes constituent des marqueurs très utiles. Car, au détour de leurs livres de comptes, les grands personnages du royaume, engagés dans des travaux de construction ou d’aménagement, nous renseignent sur le degré maximal de sophistication d’une fenêtre aux xive et xve siècles.

Entre le Moyen Âge et aujourd’hui, le rapport au vitrage n’est pas le même. Au xve siècle, les artistes n’hésitent pas à reproduire en fond de leurs paysages urbains des bâtiments religieux ou publics dépourvus de verrières, c’est un signe que l’usage du verre à vitre est loin d’être alors généralisé. Mais la faible pénétration du vitrage au Moyen Âge ne se révèle que par défaut, et il est plus difficile de prouver l’absence d’un usage qu’une présence avérée. Aussi commencerons-nous par nous interroger sur la notion ancienne de fenêtre et sur les substituts possibles du vitrage. Il nous reviendra de cerner les premières apparitions de la fenêtre vitrée dans les demeures, ses dimensions – ou plutôt ses proportions –, ses coûts, ses caractéristiques, et les hommes qui ont contribué à sa mise en œuvre. L’image de la fenêtre civile dans sa réalité médiévale n’apparaîtra qu’à travers ces différents filtres.