Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Jean-François Cubells
Professeur agrégé de biologie et géologie
ARASM (Association pour la recherche archéologique sous-marine)

Le verre à vitres de l'épave romaine de Porticcio
(Golfe d'Ajaccio, Corse)

L’épave romaine de Porticcio, dans le golfe d’Ajaccio, fait l’objet d’études depuis 2001. Son importance archéologique réside dans la présence exceptionnelle de statues de marbre représentant l’empereur Marcus Julius Philippus (Philippe Ier, dit Philippe l’Arabe) et sa famille mais aussi dans sa cargaison de verre à vitres (plus de 250 kg à ce jour), fait unique et original pour un chargement de navire antique. La présence de vaisselle de verre, de pièces de monnaie et de céramique africaine confirme la cohérence du gisement ainsi que la période de circulation, aux alentours du iiie siècle après Jésus-Christ.

The roman shipwreck of Porticcio, in the gulf of Ajaccio has been studied since 2001. Its archaeological importance is due to exceptional marble statues of the Emperor Marcus Julius Philippus (know as Philip the Arab) and his family and also to its window glass freight (more than 250 kg up to this day), something unique and original for an antique shipment. Glassware, coins, African ceramics are all consistent to date the find around the 3rd century AD.

Échouée dans le golfe d’Ajaccio, l’épave romaine de Porticcio fait, depuis 2001, l’objet d’études de la part de l’ARASM (Association pour la recherche archéologique sous-marine) et de la Commission régionale corse d’archéologie sous-marine, sous la direction d’Hervé Alfonsi. D’une réelle importance archéologique à cause de la présence exceptionnelle de statues de marbre représentant l’empereur Marcus Julius Philippus, dit Philippe l’Arabe, et sa famille, elle a également l’intérêt de révéler une cargaison de verre à vitres, un fait unique et original pour un chargement de navire antique. La présence de vaisselle de verre, de pièces de monnaie et de céramique africaine confirme la cohérence du gisement ainsi que la période de circulation, aux alentours du IIIe siècle après Jésus-Christ.

À l’issue de la campagne de fouilles de 2006, plusieurs milliers de fragments de verre ont été mis à jour. Ils représentent une masse supérieure à 250 kg.

Photographie : Fragment de verre à vitres découvert sur le site de fouilles (crédit ARASM)
Fig. 1 : Fragment de verre à vitres découvert sur le site de fouilles (Photographie ARASM).
Photographie : échantillons de différents fragments
Fig. 2 : Échantillons de différents fragments (Photographie ARASM).

∧  Haut de pageÉtude des fragments

Trois types de fragments sont identifiables : des coins, des côtés et des parties centrales. Ils sont de taille variable. Le plus grand fragment mesure 235 mm de longueur pour 100 mm de largeur. Les épaisseurs sont irrégulières, elles varient de 1 mm à plus de 8 mm, ceci entre des échantillons différents mais aussi au sein d’une même pièce. À l’intérieur des vitres de nombreuses bulles sont observables. Elles présentent souvent une forme en ovoïde indiquant la direction des contraintes auxquelles a été soumise la pâte. Sur certains échantillons usés, les bulles ont fait place à des trous plus ou moins ronds et de différents diamètres. Tous les bords et les angles des vitres sont arrondis.

Photographie : Détail d’un fragment (crédit ARASM)

Fig. 3 : Détail d’un fragment (coin), noter les nombreuses bulles ovoïdes (Photographie ARASM).

Photographie : Détail d’un morceau de vitre en coupe (crédit ARASM)

Fig. 4 : Détail d’un morceau de vitre en coupe (Photographie ARASM).



Les deux faces des fragments sont différentes. Il est en effet possible de distinguer une face inférieure, granuleuse et mate, ayant épousé le relief du support qui a servi à confectionner la vitre, et une face supérieure lisse et un peu plus brillante permettant d’observer la fluidité de la pâte, fluidité repérable aussi sur la tranche des fragments cassés.

Photographie : Détail face supérieure (crédit ARASM)

Fig. 5 : Détail face supérieure (Photographie ARASM).

Photographie : Détail face inférieure (crédit ARASM)

Fig. 6 : Détail face inférieure (Photographie ARASM).


Certains morceaux ont permis de mettre en évidences différentes « traces ».

De petites dépressions situées au niveau des coins des vitres, elles correspondent à des zones de faible épaisseur, leur aspect est lisse et non anguleux.

De petites dépressions situées près des bords des vitres, elles sont en général anguleuses.

Des stries assez profondes entaillant le verre, il ne s’agit pas de rayures car leur profondeur, leur netteté et leur disposition régulière laissent penser à des entailles réalisées avant la solidification complète du verre.

Photographie : Entailles dans le verre (crédit ARASM)

Fig. 7 : Entailles dans le verre (Photographie ARASM).

Photographie : Marques inconnues, graffitis ? (crédit ARASM)

Fig. 8 : Marques inconnues – graffitis ? (Photographie ARASM).


L’observation de deux faces d’aspects différents, de marques (pincements) au niveau des coins et d’une fluidité orientée (pâte et bulles) nous permettent de penser que la technique employée pour la fabrication de ces vitres fut celle de la « coulée sur table » : la masse vitreuse est versée sur un support solide muni de bord (cadre en bois par exemple), puis étirée à l’aide de pince.

Photographie : Témoignages de la technique de fabrication des vitres (crédit ARASM)

Fig. 9 : Témoignages de la technique de fabrication des vitres (Photographie ARASM).


∧  Haut de pageAnalyse du verre

Elle a été effectuée sur trois échantillons par le Centre de recherches en Physique appliquée à l’Archéologie, Institut de Recherche sur les Archéomatériaux, UMR 5060, CNRS Université, Bordeaux 3. Une analyse complémentaire est en cours de réalisation.

Les échantillons étudiés présentent des compositions similaires. L’analyse confirme bien que la composition de ces verres sodo-calciques est conforme à celle des verres antiques avec présence de manganèse sous forme de monoxyde de manganèse, le « savon des verriers ». Ce dernier était ajouté au verre pour atténuer la couleur verte due aux oxydes de fer. Cette technique de décoloration est connue depuis le ier siècle.

Le troisième échantillon comporte du plomb, mais il est impossible de dire s’il s’agit d’une pollution de surface ou pas.

∧  Haut de pageUne recherche à venir très prometteuse

Le nombre de coins découverts à ce jour, mais aussi une étude du rapport masse/surface ont permis d’émettre une hypothèse, en considérant la cargaison de vitres homogène, sur le nombre et la surface des vitres transportées : 85 vitres de dimension avoisinant 85 à 90 cm sur 35 à 30 cm. L’étude du gisement n’étant pas terminée, les fouilles, autorisées par le Ministère de la Culture et de la Communication pour une durée supplémentaire de trois années, devraient enrichir la connaissance de cette cargaison originale. L’aide de chercheurs universitaires aidera, de plus, à préciser les raisons de la présence du navire dans le golfe d’Ajaccio. Il est d’ailleurs important de noter la découverte, par l’équipe de l’ARASM, d’une autre épave du iiie siècle après Jésus-Christ dans le port d’Ajaccio, excellente protection contre le mistral et situé en face de Porticcio. Ces deux épaves confirment donc bien la présence romaine dans la région à cette époque. Présence déjà connue à terre grâce à la découverte d’un sarcophage dit « du bon pasteur » et récemment grâce aux travaux menés dans le centre d’Ajaccio sur le site Alban.

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