La diffusion
Que savons-nous sur le verre à vitre romain en Belgique ? L'étude du verre plat trouvé dans ce pays peut-elle nous apporter de « nouvelles » données ? Il faut bien reconnaître que, malheureusement, les archéologues belges ont accordé bien peu d'attention à cette étude. Il est vrai que la difficulté à distinguer les fragments de verre à vitre de ceux des bouteilles soufflées en moule limite sans doute l'approche du matériel. Peu de temps est consacré à la recherche en ce domaine. En raison des impératifs de publication des rapports de fouilles, on ne mentionne généralement que la découverte de verre à vitre, sans autre étude plus approfondie (Scholl G., 1987, p. 91-92).
Une étude de la bibliographie sur le sujet nous montre que le verre à vitre en Belgique ne s’est généralement diffusé qu’à partir de l’époque flavienne, contrairement aux régions plus méridionales où le verre plat est alors déjà connu depuis un demi-siècle, comme en témoignent les textes antiques et l’archéologie. Ce n’est qu’après seulement la révolte des Bataves en 69-70 après Jésus-Christ qu’une nouvelle vague de romanisation s’imposera aussi dans la culture matérielle en Germanie inférieure et en Gaule belge.
Dans les années 1960, on pouvait seulement écrire : « Les fragments de verre à vitre ne sont pas fréquents dans les substructions d’époque romaine. » (Willems, 1963, p. 37) À ce jour, ces restrictions sur la question de verre à vitre ne concernent plus que les vici. Les 198 fragments de verre à vitre qui ont été comptabilisés dans un seul secteur (G) du vicus de Liberchies et totalisent un poids de 611 grammes (Vilvorder, 1997, p. 150) sont jusqu’à ce jour l’exception qui confirme la règle. Les villae, par ailleurs, en livrent une grande quantité, comme par exemple la villa de Villers-le-Bouillet (non publiée)1 ou la villa de Champion-Hamois, qui, à elle seule, a livré 219 fragments de verre plat (Van Ossel & Defgnée, 2001, p. 162-163).
Il est intéressant de souligner l’absence totale du verre plat sur les sites romains indigènes ruraux en Campine anversoise. Des fouilles de sauvetage menées sur le trajet du Train à grande vitesse, à l’est d’Anvers, en direction des Pays-Bas, ont récemment mis au jour trois sites romains indigènes sans avoir livré un seul morceau de verre plat (Delaruelle, Verbeeck & De Clercq, 2004, p. 239-241). Pour le site de Ekeren « Het Laar », on peut expliquer que cet habitat, d’origine laténienne avec une continuation jusqu’à la période flavienne, serait par conséquent trop précoce pour contenir du verre à vitre. Les deux sites de Brecht, « Zoegweg » et « Hanepad », quant à eux encore actifs à la première moitié du iiie siècle, démontrent l'absence de toute architecture romaine (Delaruelle, Verbeeck & De Clercq, 2004, p. 189).
∧ Haut de pageLa couleur
En Belgique, comme partout ailleurs, le verre à vitre romain présente une très large gamme de couleurs allant des tons verdâtres aux tons bleuâtres et grisâtres, jusqu’à l’incolore. Néanmoins, la plupart des sites n'offrent qu’une gamme assez réduite. Les fragments de verre plat de la villa d’Evelette varient seulement du vert clair au vert foncé (Willems, 1963, p. 37). Ceux de la villa de Champion-Hamois sont de couleur verte, bleu-vert ou légèrement brunâtre (Van Ossel & Defgnée, 2001, p. 162-163). Des morceaux venant d’une cave sur le site du vicus de Braives sont de teinte blanchâtre, très impurs et à peine translucides (Willems, 1963, p. 37). Ce sont les sites plus vastes qui nous donnent plus de variations, sans doute en raison d'une occupation plus longue et plus intense. Les verres à vitre des vici de Tirlemont (Thomas, 1983, p. 336-337) et de Rumst (Sevenants & Cosyns, 2005, p. 79) varient du bleu-vert clair au bleu-vert foncé, mais on relève aussi des morceaux en bleu et bleu clair, en vert jaunâtre et incolore un peu grisâtre. Les verres plats venant du « Hondstraat » du municipium de Tongres (Vanderhoeven & Vynckier, à paraître) sont d’un bleu ou bleu-vert très clair et parfois presque incolore avec une teinte bleu verdâtre. Le matériel de Liberchies, par contre, est presque entièrement limité aux différentes gradations du bleu-vert, le reste étant du bleu clair (Vilvorder, 1997, p. 150).
Même si un seul contexte peut fournir un ensemble de verres de plusieurs couleurs, une étude s’impose pour voir si les différentes couleurs du vitrage traduisent une évolution chronologique ou si elles signifient une diffusion ou une production géographique particulière. Il est intéressant de signaler que la majorité des vitres dans la région de Trèves est d’un verre vert jaunâtre vif jusqu’au vert olive et ne possède, contrairement à la Belgique, que très peu de verre à vitre de teinte bleu-vert (Goethert-Polaschek, 1978, p. 186). Les premiers résultats d’une étude du verre à vitre romain de la région du Rhin démontre la présence de cinq types de verre différents (Komp, 2005, p. 52-54 ; Komp, 2006, p. 15-17). D’autre part, on peut se demander si les différentes couleurs de vitrage correspondent à une échelle de qualité et de valeur des produits, comme on peut le déduire des fragments de l’édit de Dioclétien sur le prix du verre issu d'Alexandrie et de Judée, datés de 301 après Jésus-Christ (Barag, 2005, p. 184-186).
∧ Haut de pageLa production
Le verre plat romain est traditionnellement divisé en deux groupes de production : le verre coulé et étiré, et le verre soufflé en cylindre ouvert et aplani. Il en est de même pour la majorité des sites en Belgique qui ont livré les deux types. Plus des deux-tiers sont du type verre coulé.
Les caractéristiques du premier groupe sont d’abord leurs surfaces inégales : lisse et brillante d’un côté, et mate et rugueuse de l’autre ; ce dernier est supposé être la face qui a été mise en contact avec le support. Des restes de plusieurs carreaux trouvés à Tongres « Hondstraat » (Vanderhoeven & Vynckier, à paraître), à Broekom « Sassenbroekberg » (Vanvinckenroye, 1988, p. 34, pl. VII, 19) et Tirlemont « Grijpenveld » (non publié) montrent des bords inclinés (fig. 1). Il n’est guère aisé de distinguer si cette inclinaison est due à l’utilisation d’outils quand le verre était encore malléable, ou bien si ces plaques de verre ont débordé de l’établi lors de la fabrication ou de la mise au four de recuit. Les bords, en effet, ne présentent pas d’arêtes vives, mais un arrondi assez mou « presque fondu », qui vient de la fabrication.
Cette caractéristique serait due à la technique du coulage. Je voudrais insister ici sur la face inférieure du verre coulé qui ne présente pas de surface « unilatérale ».
On peut distinguer trois groupes (Cosyns, 2005, p. 49-50). Majoritairement rugueuse, mais d'une rugosité variable, la surface inférieure peut donc être assez lisse. Méconnaissant la production du verre coulé, nous n'avons pas d'explication à apporter sur l'origine de cette surface mate et rugueuse. Si les différents aspects de la surface du verre plat sont dus à l’adhérence à la table de coulage, les artisans romains ont utilisé plusieurs matériaux pour fabriquer le cadre sur lequel ils ont coulé le verre destiné à produire des panneaux carrés et rectangulaires. G.C. Boon distingue la pierre, la céramique, le mortier ainsi que le bois saupoudré de sable (Boon, 1966, p. 44-45), mais ne mentionne pas le métal. Le bois doit être éliminé car il n’est pas résistant à la chaleur du verre liquide qui s’élève à plus de 1000°C et serait rapidement réduit en charbon de bois.
Les caractéristiques du troisième groupe (Cosyns, 2005, p. 49-50) font supposer une toute autre hypothèse. Le verre plat coulé semble être lisse des deux côtés dans la phase primaire de sa production : en mettant l’objet fini dans des cendres ou du sable chaud, lors de sa phase de recuit, sa surface inférieure se modifie. Les cendres ou le sable, à température trop élevée, entraînent un mouvement des cristaux dans le verre et, de là, un changement de texture.
La plupart des surfaces supérieures sont marquées de traces de pinces dans les coins, mais aussi un peu plus éparpillées, et plutôt parallèles ou perpendiculaires aux bords. Ces traces montrent que le verrier a intentionnellement travaillé le matériau afin d’obtenir une plaque de verre de la forme voulue.
Tenons compte du fait qu’il n’est pas possible de couler une plaque d’un demi-mètre carré en conservant une épaisseur d’une moyenne de 4 millimètres. Il paraît peu raisonnable d’imaginer que le verre a été coulé en une seule action fluide. Il est important de constater, à l’instar de G.C. Boon (Boon, 1966, p. 43), que les fragments très épais semblent être constitués de plusieurs couches. Des fragments révèlent la présence de cinq et parfois même dix couches (Cosyns, 2005, p. 50, fig. 46). Bien que la majorité n’en ait pas autant, on pourrait avoir tendance à penser que le verrier a déversé autant de coulées de verre qu’il y a de couches visibles. Soumise à de forts étirements, l'épaisseur variable peut diminuer, ici et là, de 1,5 à 3 millimètres.
La raison d'être de ces couches peut néanmoins être tout autre, car elles ne vont pas jusqu'au bord. Le fait qu’elles s’arrêtent à une certaine distance du bord nous indique qu'une même couche de verre se trouve aussi bien à la partie inférieure qu’à la partie supérieure. Les couches sont alors plutôt un argument pour penser que le verre à vitre, identifié comme étant coulé et étiré, soit en fait soufflé. Actuellement, on pourrait utiliser les mêmes arguments pour attribuer le verre plat romain à surfaces lisse/rugueuse aussi bien à la technique du coulage qu'à celle du soufflage ; il serait donc urgent de clarifier cette situation floue et confuse au moyen de recherches expérimentales sur le façonnage. Peut-être que la solution se trouve entre les deux : dans la technique du soufflage, la paraison peut être cueillie en plusieurs fois, avant même d'être soufflée ; on peut imaginer que la masse de verre malléable a pu ensuite être étirée en forme de carré ou de rectangle, puis aplatie sur un table de travail après avoir été séparée de la canne.
- Je voudrais remercier Jean-Luc Schütz, conservateur des collections archéologiques du Musée Curtius à Liège, pour la permission d’intégrer le matériel inédit de la villa de Villers-le-Bouillet et pour sa bienveillance à me procurer des photos. ↑