En 1993, Monsieur Burnier découvre une épave à 55 mètres de fond à l’ouest de l’île des Embiez, dans la baie de Sanary. Une expertise en 1995 permet de conclure à une épave de 12 m de long et une cargaison en majorité constituée de produits verriers bruts et manufacturés (Foy, Jézégou, 1998), et de dater le naufrage aux alentours du début du iiie siècle après Jésus-Christ
Ouest-Embiez 1 constitue un témoin primordial pour la connaissance de la technologie et du commerce du verre. Dans l’Antiquité, la matière vitreuse était produite dans des ateliers primaires établis en Méditerranée orientale et en Égypte. Les ateliers secondaires, répartis dans l’ensemble du monde romain, refondaient ce verre et devaient se fournir en matière première ; celle-ci, pondéreuse, voyageait par voie maritime.
Cette épave laisse ouverte la question du recyclage du verre, opération pratiquée dès l’Antiquité (Velde, Gendron 1980, Velde 1990). Les nombreux fonds de gobelets, fioles, ne sont-ils que du groisil ou témoignent-ils d’un commerce d’objets manufacturés (Foy, Jézégou, 1998) ?
La nature du fret, son origine, son homogénéité ou non sont autant de questions qu’il faudra résoudre pour déterminer le type de commerce auquel participait ce navire.
Le type de commerce permettra à son tour d’envisager la question du lieu d’embarquement de la marchandise et par conséquent celle du point de départ du dernier voyage.
1. Précautions nécessaires pour l’interprétation des vestiges
∧ Haut de page1.1 Importance de leur localisation
Dès le naufrage, le site ne cesse de se transformer, gommant peu à peu les traces de l’organisation antérieure. Le travail des archéologues consiste à reconstituer l’agencement initial, seul à même de permettre de dégager les informations nécessaires à la compréhension de la logique commerciale qui a présidé au dernier voyage du navire.
La distribution spatiale du mobilier archéologique à l’intérieur d’une épave est le résultat de l’interaction de plusieurs facteurs : aménagements intérieurs du navire et disposition de la cargaison dans la cale, circonstances du naufrage, dégradation et effondrement des superstructures, remaniements postérieurs…
Le chargement d’un bateau, dans l’Antiquité comme de nos jours, prend en compte les problèmes hydrostatiques : équilibrage et lestage (Tchernia, 2003, p. 615). Il tient compte également des vents dominants le long de la route maritime suivie.
Il est aussi fonction des espaces réservés à la vie à bord et au stockage des provisions nécessaires à l’équipage (sans oublier les éventuels voyageurs dont on sait par les textes, par exemple la relation que fait saint Luc du voyage de saint Paul de Césarée en Galilée à destination de Rome, qu’ils embarquaient sur les navires marchands (Rougé, 1984 ; Pomey, 1997, p. 13).
∧ Haut de page1.2 Organisation du commerce maritime dans l’Antiquité
Le développement de l’archéologie sous-marine des trente dernières années a permis de distinguer plusieurs types de commerce maritime antique (Nieto, 1989, p. 388 et suivantes ; Nieto et al., 1989, p. 241; Nieto 1997, p. 146 et suivantes) :
- des échanges, par route directe parfois sur une longue distance, entre un port situé à proximité d’un bassin de production et un grand port entrepôt. Les épaves qui illustrent ce type de commerce sont caractérisées par une cargaison homogène en provenance d’une même zone de production.
- une liaison depuis un port entrepôt d’une région vers un port entrepôt d’une autre région ou un commerce de distribution à partir d’un port entrepôt en direction des ports secondaires situés dans sa zone d’influence économique. Ce trafic est illustré par des épaves à cargaison hétérogène.
- La survivance d’un colportage maritime par l’intermédiaire d’un marchand achetant et vendant des marchandises au gré des marchés sans commande préalable ni escales définies à l’avance1.
∧ Haut de page1.3 Nature et pertinence du mobilier recueilli dans une épave
Dans un navire cohabitent des séries d’objets aux fonctions diverses : la cargaison bien sûr, mais également des instruments appartenant en propre aux marins, des outils servant à l’entretien du navire et de la vaisselle et des amphores contenant les réserves nécessaires à la durée du voyage.
Il est indispensable de distinguer, grâce à l’observation de la distribution spatiale, les amphores et la vaisselle attribuables au fret de celles transportées comme matériel de bord.
Il faut également résister à la tentation d’attribuer un exemplaire unique au mobilier de bord ou des lots exigus de marchandise à la cambuse. En effet, toute occasion d’un profit éventuel était saisie par le capitaine qui pouvait, à loisir, négocier une petite quantité de marchandise pour son propre compte (Morel 1998, p. 496).
La vaisselle dans laquelle les marins prenaient leurs repas ne refléterait que les traditions alimentaires de l’équipage et, sous réserve que celles-ci présentent des particularités suffisamment significatives, une éventuelle origine géographique des marins ; or on sait que dans l’Antiquité déjà, les navires et les équipages étaient affrétés2. Il serait imprudent de vouloir confondre origine de l’équipage, origine du navire et lieu d’embarquement du fret.
Enfin, l’existence des ports entrepôts et du commerce de distribution rend tout à fait vaine une interprétation qui tendrait à relier sur une carte les centres de production correspondant aux différents lots composant la cargaison afin de proposer un « itinéraire » du navire. (Nieto 1997, p. 146).
- 1. Il s’agit de la survivance d’un commerce qui n’avait plus une grande importance économique sous l’empire (Tchernia, 2003, p. 616). ↑
- 2. Comme l’illustre l’exemple d’un navire appartenant à deux habitants d’Oxyrhynchos en 221 : ces deux marins doivent recruter un équipage complémentaire pour le bateau dont ils sont propriétaires et sur lequel ils naviguent eux-mêmes. Le bateau est affrété pour une somme de 500 drachmes à laquelle s’ajoutent des prestations en nature (Lewis, 1988 p. 142). ↑