Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Christiane ROUSSEL,
Conservateur du Patrimoine, Inventaire général du patrimoine culturel de Franche-Comté (France)

L’usage du verre à vitre en Franche-Comté aux xviie et xviiie siècles

Apparition de la fenêtre à deux battants

Durant la première moitié du xviiie siècle, les croisillons de bois disparurent des nouvelles constructions religieuses et publiques, pour être remplacés par des fenêtres à deux battants, dont l’imposte était constituée d’une traverse et d’un montant central fixe. Le Refuge, les nouveaux bâtiments de l’abbaye Saint-Vincent et le nouveau palais du parlement17 en furent dotés, entre 1740 et 1743.

Les menuiseries et surtout les pièces de serrurerie en subirent d’importantes modifications. Désormais, les battants se fermaient en s’encastrant l’un dans l’autre, maintenus par une espagnolette18. Le devis de serrurerie du Refuge mentionne qu’« il sera fait une espagnolette à l’endroit des lascet du haut et du bas de sorte qu’elle auront de grosseur contre les lasset neuf lignes et la tringle six lignes de grosseures. Les deux gâches seront attachées avec chacunes deux vües en bois. La patte de la main sera vidée et attachée avec pareille vüe... »19. Aux gonds fabriqués localement par le serrurier, à partir du fer doux de la Province, succédèrent de nouvelles charnières appelées fiches à nœuds. Ainsi, chaque croisée des bâtiments du Refuge devait être fermée avec « six fiches à cinq nœuds de 3 pouces de hauteur, les broches à teste se démontrons » ; celles du palais du parlement et de l’abbaye Saint-Vincent, d’un modèle plus courant, étaient à double nœud.

Les broches amovibles – décrites ci-dessus – permettaient chaque année au vitrier de démonter sans difficulté les châssis ouvrants, pour les restaurer et les nettoyer. Cependant ce produit était coûteux, sans doute importé à Besançon, comme à Paris, de la région stéphanoise20. Pour le Refuge, le serrurier Antoine Paton avait proposé que « les croisées qu’on voudrait à plus bas prix » soient pourvues de gonds à consoles au lieu de fiches. De même, l’espagnolette, autre produit coûteux et sophistiqué, était-elle réalisée par les serruriers bisontins ou était-elle achetée, en totalité ou en partie, (tringle en fer fabriqué dans l’atelier, poignée importée, par exemple)21 ?

Photo : Besançon, Couvent Notre-Dame du Refuge, fenêtres à petits bois, crédit J. Mongreville, Inventaire général / ADAGP

Fig. 4 : Couvent Notre-Dame du Refuge à Besançon ; les fenêtres à petits bois, datées 1741, constituées de deux battants et imposte au tiers supérieur, comportent 28 carreaux.
Phot. Inv. J. Mongreville © Inventaire général, ADAGP, 1997.

Lorsque ces fenêtres étaient à petits bois, elles se composaient généralement de deux carreaux en largeur, sur cinq en hauteur, dans les jours bas, de deux ou trois en hauteur dans l’imposte. Aussi, selon la taille de la baie, 28 ou 32 carreaux de verre d’environ 24 centimètres de côté étaient nécessaires22 (fig. 4).

C’est à la même époque que le mastic apparut dans les devis des vitriers. Se substituant aux bandes de papier collé; il assurait une meilleure étanchéité.

Dans les nouvelles fenêtres, l’emploi des petits bois resta cependant très modéré, en comparaison des vitreries mises en plomb. En 1741, au palais du parlement, sur un ensemble de soixante-seize fenêtres neuves (sans compter trente et un vitraux en verre blanc), quarante-trois avaient été mises en plomb, quatorze étaient à petits bois, sept n’étaient garnies que d’un treillis de fil de fer (latrines, bûchers, corridors) ; les douze ouvertures du grenier n’étaient munies que d’un simple contrevent en bois. Au Refuge, toutes les baies du premier étage avaient de même été mises en plomb ; dans le bâtiment neuf de l’abbaye Saint-Vincent, trente-deux, seulement, contre quatorze à petits bois. Parce qu’elles étaient plus solides, donc moins sujettes au bris, ces fenêtres à petits bois, parfois faites en verre double, convenaient au rez-de-chaussée des édifices. La faveur accordée encore au milieu du xviiie siècle aux vitreries mises en plomb tenait peut-être à la qualité de la lumière que celles-ci diffusaient à l’intérieur des pièces, mais aussi à leur prix de revient modéré. Au palais du parlement, par exemple, une croisée à petits bois de 2,65 mètres de haut sur 1,20 mètres de large avait coûté tout compris 60 livres 14 sols ; la même réalisée avec des panneaux mis en plomb, était revenue à 39 livres 14 sols.

Dans les années 1740, le devis de construction d'une manufacture de draps, pour le compte du couvent des Capucins de Besançon, mentionne pour ce bâtiment utilitaire des vitrages encore plus économiques23. Ici, ni petits bois, ni espagnolette, ni fiches à nœuds. La vieille formule des châssis dormants était reprise. Une traverse au tiers supérieur de la hauteur et un montant central, tous deux fixes et formant un T, divisaient la baie en trois compartiments. Le compartiment du haut était dormant, les deux du bas s’ouvraient et se fermaient par six gonds à console, deux targettes et deux verrous à ressort. Les trois panneaux étaient vitrés de petits carreaux de verre commun mis en plomb. Mais on avait été pointilleux sur la qualité des matériaux. Les fers ne devaient être « ny aigres, ny pailleux, mais doux, liants et bien forgés », les verres « blancs, non veinez, ondez, ny mouchetez », les bois de chêne et de sapin « vifs, nets, de droit fil, sans gersures, aubier, pouriture, flaches, malandres, nœuds vicieux, ny vermoulus, coupés et abatus en bonne saison ».

Apparue à Paris dans la première moitié du xviie siècle24, la fenêtre à coulisse était d’un coût très modéré, car, à l’exception de quelques pattes de scellement, elle ne nécessitait pas de ferrures. Dans l’hôtel bisontin de Montmartin agrandi en 1738, un même grand cabinet avait ainsi reçu deux types de fenêtres25. La première, la plus chère (58 livres 12 sols), était à deux battants et une espagnolette, avec des charnières de six fiches à double nœud ; la deuxième, à 32 livres 15 sols, n’était qu’un simple « double chassis à coulisse »26. Ce modèle de fenêtre, était probablement assez répandu dans la région. Mais, parce qu’il est peut-être moins solide et moins étanche que les fenêtres à deux battants, il ne subsiste actuellement que dans de rares édifices, comme par exemple, à l’abbaye de Baume-les-Dames (Doubs)27.


  • 17.  « Etat et estimation de la menuiserie, serrurerie, vitrerie et peinture d’impression des portes, croisées et vitraux du palais du parlement de Besançon le 31 mars 1740 » (Arch. dép. Doubs,1 C 2368).  ↑
  • 18.  D’après le Grand Larousse du xixe siècle, l’espagnolette, conçue pour fermer hermétiquement les fenêtres à deux battants, aurait été – comme le suggère son nom – ramenée d’Espagne au début du xviiie siècle, à l’issue de la guerre menée par Louis XIV pour la succession d’Espagne. Cet ingénieux système se serait alors très rapidement diffusé en France, contrairement à l’Angleterre – qui ne fut pas impliquée dans cette guerre – et qui resta fidèle aux fenêtres à coulisse.  ↑
  • 19.  Arch. dép. Doubs, 135 H 7.  ↑
  • 20.  Ces fiches à nœud sont repérées dans les archives parisiennes dès les années 1660 : voir l’article déjà cité en note 10 de Belhoste et Leproux, et dans le même ouvrage, ceux de Bourlier M., « Un métier disparu : le forgeur de fiches », et de Landes Cl., sur la « Typologie des fiches de croisées à double nœud et à bouton ».  ↑
  • 21.  Aucun inventaire d’atelier de serrurier (ni même de vitrier d’ailleurs) n’a été découvert jusqu’alors dans les archives nous permettant d’éclaircir ces problèmes.  ↑
  • 22.  Ce nouveau type de fenêtre était ainsi décrit dans le marché de menuiserie de Pierre-Joseph Faivre et Michel Paris pour les bâtiments neufs de l’abbaye Saint-Vincent en 1743 : « Bien entendu que toutes les croisées seront brisées environ par le tiers de leur hauteur, en sorte que celles à petits bois portent trois carreaux de verre de hauteur dans leur chassis haut et cinq carreaux dans le chassis bas et que les croisées en plomb seront brizées et faittes à proportion » (Arch. dép. Doubs, 1 H 194).  ↑
  • 23.  Devis de l’architecte bisontin Charles-François Longin de 1743 (Bibl. mun. Besançon, Arch. Mun., DD 33). Ce bâtiment devait être construit dans la rue Neuve, actuelle rue Charles Nodier.  ↑
  • 24.  Voir Belhoste et Leproux (article déjà cité note 10).  ↑
  • 25.  L’hôtel était propriété de la ville de Besançon depuis 1619. « Etat estimatif des ouvrages de maçonnerie, serrurerie, vitrerie et autres à faire à l’hôtel de Mr le duc de Duras » (Bibl. mun. Besançon, Arch. mun. DD 37).  ↑
  • 26.  On ne sait pas pourquoi ce grand cabinet avait été muni de deux fenêtres d’aspect si différent. S’il s’agissait de réaliser des économies, il aurait été préférable alors d’installer deux fenêtres à coulisse.  ↑
  • 27.  Ces fenêtres à coulisse ont néanmoins subi des altérations : la partie inférieure coulissante ayant été adaptée, à une époque indéterminée, en fenêtre à deux battants, tout en conservant les traces de l’ancien système.  ↑