Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Pascal VIPARD, Maître de conférences d'Antiquités nationales, Université de Nancy-II (France)

L'usage du verre à vitre dans l’architecture romaine du Haut Empire (suite)

Essai de typologie des édifices vitrés

Le vitrage n’est pas attesté dans tous les types de bâtiment, ni même dans toutes les parties d’un même bâtiment.
 

Représentation d’un temple doté de deux fenêtres hautes vitrées dans l’hypogée de Samson dans la catacombe de la Via Latina à Rome
Fig. 8 : Représentation d’un temple doté de deux fenêtres hautes vitrées dans l’hypogée de Samson dans la catacombe de la Via Latina à Rome, 1ère moitié ou milieu du IVe s. (d’après F. Bisconti, 2000, pl. LVIIa).

Les édifices publics

Sa présence dans les édifices de bains publics ou domestiques (riches) est amplement attestée par les textes31 et par les vestiges matériels. Même s'il est vrai qu'on passe généralement sous silence les découvertes de verre à vitre dans des salles thermales froides sous prétexte que les fragments ont pu y être transportés, cette présence semble être effectivement majoritairement cantonnée dans les salles chauffées.

On est en revanche plus mal renseigné sur l’existence de vitres dans d’autres édifices ou dans d’autres pièces et même les textes n’apportent qu’assez peu de renseignements. Notons toutefois des mentions imprécises, mais explicites, telles que celle d'un papyrus du milieu du iiie siècle qui mentionne très clairement que des verriers s'engagent à équiper de « vitres d'autres édifices publics » que les divers bains de Panapolis cités juste avant32. Il faut attendre le ive siècle pour trouver une figuration peinte d’un temple avec des fenêtres hautes vitrées (fig. 8).


∧  Haut de pageL'habitat

En milieu domestique, plusieurs chambres pompéiennes cubicula) sont équipées d'un oculus (pour l'éclairage) ou d'une fenêtre33 vitrée donnant sur un jardin ; mais la comparaison avec les nombreuses autres maisons de la ville montre que ce type d’équipement est loin d’être courant à l’époque flavienne. Toujours à Pompéi, on connaît aussi un certain nombre de cas, dans des maisons souvent modestes, de petites vitres fixes dont on soupçonne le rôle dans l'éclairage de la rue, voire d'un jardin34.
Plusieurs découvertes laissent également entrevoir l’existence de vitres dans des pièces situées à l'étage de maisons.

∧  Haut de pageLes vérandas

Moins anecdotique qu'on ne le pense peut-être est le cas de la véranda occupant le côté oriental du jardin de la très riche Maison de l’Atrium à Mosaïque (IV, 1-2) à Herculanum (fig. 9). Ce fragile aménagement, véritable mur de verre, est la transposition dans la réalité de figurations peintes de IIIe style qui montrent que le modèle existait donc – au moins virtuellement – dès l’époque augustéenne (fig. 10). Cette structure formait le quatrième côté d'un portique fenêtré et vitré sur les trois autres. C'est assez récemment qu'on a pris conscience, sinon de l'existence, du moins de l'originalité et de la spécificité de cette dernière forme architecturale liée à l'essor du verre à vitre35. Loin d'être une caractéristique campanienne rare et isolée, de tels portiques, qui se rencontrent aussi bien en milieu public que domestique, sont désormais attestés en divers points de l’Empire. Ils constituent une forme architecturale spécifique que l’on peut rattacher au courant des cryptoportiques.

Vestiges de la cloison vitrée du portique oriental du uiridarium de la Casa dell’Atrio a Mosaico, Herculanum
Fig. 9 : Vestiges carbonisés de la cloison vitrée du portique oriental du uiridarium de la Casa dell’Atrio a Mosaico (IV, 1-2) à Herculanum
(photo P. Vipard).
Dessins : Figurations de murs vitrés imaginaires sur des peintures pompéiennes de IIIe style
Fig. 10 : Figurations de murs vitrés imaginaires sur des peintures pompéiennes de IIIe style (1ère moitié du Ier s. ap. J.-C.).
En haut : véranda à paroi de bois et toit équipés, semble-t-il, de plaques translucides, sans doute des pierres spéculaires (Maison du Labyrinthe, VI, 11, 10) ;
en bas : mur de premier étage, au-dessus d’un portique, équipé d’une double rangée de fenêtres sur la totalité de sa hauteur
(Spinazzola, 1953, vol. 2 fig. 855 et vol. 3, pl. LXXXV, 5).

∧  Haut de pageLa fréquence du vitrage dans l’architecture

En dehors des salles chaudes des thermes, de maisons aisées et de certains portiques donc, la seule archéologie n'atteste pas d'emploi courant du vitrage dans le reste de l'architecture. Et au sein même des catégories architecturales concernées se pose le problème de savoir s'il s'agit d'un emploi généralisé, fréquent ou anecdotique.

Actuellement, on constate deux tendances sur cette question : d'une part, les tenants d'un vitrage des baies rare, anecdotique, et, d’autre part, les partisans de son usage banalisé, courant, sa rareté n'étant due selon eux, qu'aux circonstances de conservation et de découverte. La vérité doit se situer entre les deux opinions, mais sans doute plus près de la première si l’on s’en tient aux seules données quantitatives36, très difficiles à établir et même si certaines nécessités techniques des thermes d'époque impériale rendent difficiles son absence dans ce type précis de monument. En Gaule Narbonnaise, par exemple, seuls 12 thermes sur 21837 ont livré du verre à vitre (soit 5,5 %). Ces chiffres sont sans doute sous-évalués dans la mesure où les fragments de verre ne sont souvent même pas mentionnés dans les publications, mais on a quand même de la peine à expliquer l'absence du moindre tesson si toutes les fenêtres étaient vitrées.

Comme on le voit, la fréquence du vitrage est difficile à appréhender objectivement. On conclura sur ce point en disant qu'il semble avoir été courant, tout particulièrement dans les thermes, mais sans doute pas généralisé ailleurs et, surtout, réservé à un certain nombre de formes architecturales.



  • 31.  Le cas est par exemple très net en Égypte (cf. Husson 1972, op. cit. à la n. 2).  ↑
  • 32.  P. Got. 7(Husson, ibid., p. 279).  ↑
  • 33.  Quelquefois même de plusieurs dans le cas des cubicula de la Maison d'Actéon à Pompéi (VI, 3-5, 30, 31) qui donnent sur le péristyle (Mazois F., 1812, Les ruines de Pompéi, vol. 2, Paris, F. Didot, p. 77).  ↑
  • 34.  Sperl D., 1990, « Glas und Licht in Architektur und Kunst », in : Heilmayer et Hoepfner, 1990, op. cit. à la note 1, p. 61-70, spécialement p. 66-67.  ↑
  • 35.  Le point sur la question dans Vipard P., « Un aménagement architectural méconnu : Les portiques fenêtrés dans les domus du haut Empire », in : Bedon R., éd., Amœnitas urbis - Les agréments de la ville à l'époque romaine (Limoges 26-27 mai 2000), Caesarodunum XXXV-XXXVI, Limoges, 2001-2002, p. 39-56. et id., « Les portiques fenêtrés dans les domus du haut Empire romain », Bulletin archéologique du comité des travaux historiques et scientifiques (Antiquité, archéologie classique), 30, 2003, p. 99-134.  ↑
  • 36.  Il paraît significatif que, malgré son attachement aux détails, V. Spinazzola ne mentionne pas une seule vitre en verre (seulement un cas de pierre spéculaire) parmi les très nombreuses fenêtres hautes et basses observées dans ses fouilles de la via dell'Abbondanzza de 1910 à 1923 (Spinazzola, 1953, op. cit. à la n. 4, vol. I, chap. III – Finestre e problemi di luce –, p. 65-80). Les mentions de découvertes de verre à vitre à Pompéi ne sont pas si nombreuses que le laissent entendre les tenants d'une abondance de ce matériau (par exemple, F. Dell'Acqua, 2004, op. cit. à la n. 4).  ↑
  • 37.  Chiffres d'après A. Bouet, 2003a, op. cit. à la n. 6, vol. I, p. 274, n. 114. Il s'agit de trois édifices de thermes publics du Ier s. au milieu du IIIe s. et de huit villas s'étalant de la fin du Ier s. peut-être jusqu'au Bas Empire.  ↑