Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Marie-Pierre JÉZÉGOU, Hélène BERNARD, Ingénieures d’études
Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous marines, Ministère de la Culture

Épave Ouest-Embiez 1
Agencement de la cargaison : quelques pistes pour l'étude du commerce du verre au début du iiie siècle après Jésus-Christ (suite)

2. L’organisation spatiale des vestiges recueillis sur l’épave Ouest-Embiez 1

2.1 Les restes de l’épave et l’axe du navire

Les premiers vestiges de l’épave du navire ont été mis en évidence à l’ouest. Ils sont conservés sur une longueur de 2 m et une largeur de 60 cm. Ils correspondent à un ensemble constitué de 12 membrures et de 2 virures de bordé. Par leur module, ces vestiges sont interprétés comme des éléments de la muraille du navire désagrégée quelque temps après le naufrage.

Plus au sud, un alignement de 3 membrures a été mis au jour. Le plancher de cale est conservé sous la forme de 8 vaigres fixes (fig. 1). Il correspond aux œuvres vives du navire. L’emplacement de la quille n’a pas encore été reconnu.

Épave Ouest-Embiez 1 : plan général des vestiges, mise au net Sébasttien Appert, Marie-Laure Laharie (CNRS), Lionel Fadin (Ecole française d'Athènes)
Fig. 1 : Épave Ouest-Embiez 1 : plan général des vestiges.
Mise au net Sébasttien Appert, Marie-Laure Laharie (CNRS), Lionel Fadin (Ecole française d'Athènes).

∧  Haut de page2.2 L’espace de vie à bord

Les installations nécessaires à la vie de l’équipage ont été repérées grâce à la présence de vaisselle portant un graffito représentant une ancre gravée après cuisson, signe que cette vaisselle appartenait à un membre d’équipage. D’autres pièces portent des traces de noir de fumée, témoins de leur utilisation à bord. Des résidus alimentaires (os, coquilles de noix et d’escargots, noyaux d’olives) et des charbons de bois confirment cette interprétation.

Dans l’Antiquité, à de rares exceptions près3, les aménagements liés à la vie à bord sont localisés à l’arrière des navires. En l’absence d’études plus approfondies sur les restes de l’épave, nous considérerons donc ce secteur de l’épave comme correspondant au tiers arrière du navire. C’est également le lieu le plus stable, donc le plus à même d’abriter une cargaison fragile.


∧  Haut de page2.3 La cargaison de vaisselle de verre

Photographie : vaisselle de verre entreposée contre une cloison latérale de la cuisine (crédit François Beaumont)
Fig. 2 : Vaisselle de verre entreposée contre une cloison latérale de la cuisine (photographie François Beaumont).
Photographie : Piles de gobelets au contact direct du plancher de cale (crédit Daniel Rebillard)
Fig. 3 : Piles de gobelets au contact direct du plancher de cale (photographie Daniel Rebillard).
Photographie : Verres à pied disposés tête bêche (crédit Daniel Rebillard)
Fig. 4 : Verres à pied disposés “tête bêche” (photographie Daniel Rebillard).

Elle était entreposée contre une paroi latérale de la cuisine (fig. 2). Toutefois, les très nombreux fragments retrouvés disséminés sur l’ensemble du gisement (principalement des fonds en anneaux et des bases de verres à pied), ont pu nous faire envisager un moment l’hypothèse d’un transport de verre brisé en vue de recyclage (Foy, Jézégou, 1998, p. 121) mais sans pouvoir formellement l’attester4.

Les gobelets en verre ont été localisés dans un espace occupant, en l’état actuel des fouilles, une superficie de 3 m². Ils étaient disposés en piles de 5 pièces, sur au moins 4 couches, en contact direct avec le plancher de cale (fig. 3). Aucune trace d’emballage n’a été repérée de visu. La disposition en piles5 rappelle celle des bols moulés en verre découverts sur l’épave de la Tradelière (Fiori, Joncheray, 1975, p. 67).

Les gobelets Isings 85/Rütti 98 ne sont pas la seule forme transportée à bord de ce navire : des verres à pied figurent également parmi la cargaison (Foy, Nenna, 2003, p. 285 et fig. 233 à 236, p. 286). Une fiole presque entière et une partie haute de bouteille carrée ont été retrouvées. Ni leur unicité, ni leur localisation dans l’épave ne permet de trancher entre l’hypothèse d’une utilisation comme contenant d’un produit utilisé à bord, celle d’un contenant d’un produit transporté comme marchandise ou encore celle d’un emballage commercialisé en tant que tel.

Les verres à pied étaient séparés des gobelets mais entreposés à proximité. Les quelques échantillons de verres aperçus en 2004 ne sont pas à leur emplacement d’origine mais ils n’en sont vraisemblablement pas très éloignés. Sur tous ces exemplaires, les coupes des verres sont préservées, réduites à l’état d’une « gélatine » qui n’a pas résisté au prélèvement alors que sur les très nombreux restes de verres à pied retrouvés dispersés sur l’ensemble du gisement, seule la base de la coupe était conservée. Il semble logique que les exemplaires retrouvés au plus près de leur emplacement d’origine soient en meilleur état de conservation. (fig. 4). La dissolution du verre durant le séjour dans l’eau pourrait s’expliquer par un excès de natron dans la matière vitreuse.


∧  Haut de page2.4 La matière pondéreuse au centre du gisement

Photographie : Blocs de matière première vitreuse (crédit Roland Graille)
Fig. 5 : Blocs de matière première vitreuse (photographie Roland Graille).

L’espace central est occupé par la cargaison de blocs de verre (fig. 5). En l’état actuel des investigations, l’extension de la cargaison de blocs de verre est de 16 m². En retenant une épaisseur moyenne de 56 cm, le volume du fret de matière première vitreuse peut-être estimé aux environs de 9 m3 duquel il faut déduire 20% afin de tenir compte des vides6. Le volume s’établirait alors aux alentours de 7,2 m3.

Les analyses pratiquées par l’Institut de Physique du Globe de Paris (UMR CNRS 7047) ont montré que les échantillons les moins altérés conservaient une densité moyenne de 2,4657. Ceci porterait à 17,75 tonnes le poids du fret de matière première vitreuse avec toute l’approximation de ce procédé d’estimation.


∧  Haut de page2.5 La disposition du verre à vitre

Photographie : Fragments de vitre plate reposant sur un bloc de verre (crédit François Beaumont)
Fig. 6 : Fragments de vitre plate reposant sur un bloc de verre (photographie François Beaumont).

Lors de la mise au jour des blocs de verre une attention toute particulière a été portée à la présence de plusieurs fragments de verre à vitre plat dans la partie centrale du gisement. Certains, et pas les moindres, reposaient horizontalement au dessus des blocs. (fig. 6). Aussi avons-nous un moment envisagé l’hypothèse d’un embarquement des vitres plates amarrées sous le pont, dans la cale des blocs de verre. En 2004 cette observation n’a pas été renouvelée. Au contraire, plus au sud, au dessus de la zone de contact entre les blocs et la vaisselle, la présence d’une plaque de verre à vitre brisée par le contact avec un col (fig. 7) d’amphore déplacé au cours du naufrage tendrait à montrer que le verre à vitre plat était plutôt entreposé avec la cargaison de vaisselle de verre, dans la partie méridionale du gisement.

Ce qui n’est encore qu’une hypothèse au sujet des vitres plates est confirmé pour les vitres rondes (fig. 8).

Une pile de sept vitres circulaires bombées (dont une intacte), à rebord plat, d’un diamètre de 42 à 51 cm, apparemment sans protection intermédiaire (fig. 9), a été découverte parmi des gobelets. Elles reposaient à plat à leur emplacement d’origine. La coupe transversale révèle que le contenant des vitres circulaires dont on ignore encore la nature, a été placé parmi les contenants de vaisselle de verre (fig. 10).

Cela signifie que les vitres circulaires n’ont pas été embarquées lors d’une escale, dans un port différent de celui où a été embarquée la vaisselle. L’ensemble de ce mobilier a été disposé dans la cale du navire en une seule opération de chargement8.

Photographie : Effondrement d’un col d’amphore ayant brisé une vitre in situ (crédit Daniel Rebillard)
Fig. 7 : Effondrement d’un col d’amphore ayant brisé une vitre in situ (photographie Daniel Rebillard).
Photographie : Pile de sept vitres rondes in situ (crédit Daniel Rebillard)
Fig. 8 : Pile de sept vitres rondes in situ (photographie Daniel Rebillard).
Photographie : Empilement de sept vitres rondes sans protection intermédiaire (crédit Daniel Rebillard)
Fig. 9 : Empilement de sept vitres rondes sans protection intermédiaire (photographie Daniel Rebillard).

Graphique : Coupe montrant l’emplacement des vitres rondes parmi les gobelets (Relevé et dessin Lionel Fadin, École française d'Athènes)
Fig. 10 : Coupe montrant l’emplacement des vitres rondes parmi les gobelets
(Relevé et dessin Lionel Fadin, École française d'Athènes).

∧  Haut de page2.6 L’avant du navire au nord-ouest du gisement

Les amphores découvertes dans ce secteur ne sont pas en place. Elles correspondent au déversement hors de la carène, occasionné par l’effondrement des œuvres mortes plusieurs années après le naufrage. La présence de nombreux clous en bronze témoigne de la destruction des vestiges ligneux.


2.7 Au sud du gisement, à l’arrière

Au sud de la zone de cabine, le gisement se prolonge sur une longueur de 2 à 3 m. L’alignement de membrures découvert dans la zone 5 délimite très clairement l’intérieur de l’épave du déversement extérieur.

2.7.1 À l’extérieur de l’épave

Cinq amphores entières, une de type Agora M54, également appelée « Pseudo-Cos en cloche » de Méditerranée orientale, une Dressel 2/4 probablement originaire de Tarraconaise et trois Dressel 2/4 italiques, auxquelles il faut ajouter un pied d’amphore Dressel 2/4 laissé in situ et les restes de deux amphores Agora F 65/66 ont été mis au jour. Elles sont tombées à l’extérieur du navire lorsque la paroi contre laquelle elles étaient adossées s’est effondrée. Cette hypothèse est étayée par les nombreux fragments de bois et de clous retrouvés sous les amphores.

2.7.2 À l’intérieur de l’épave

Un col d’amphore Gauloise 4 et un col de Dressel 2/4 ont été retrouvés à l’intérieur de l’épave, contre l’alignement de membrures, dans l’espace dévolu à la cuisine, près d’un fragment de meule. Au sud-est, un petit sondage a montré la présence d’au moins une amphore entière (une Dressel 2/4 italique) et d’un col d’amphore Knossos 18 à l’intérieur de l’épave. La fouille n’est pas achevée dans ce secteur.

  • 3.  Les exceptions sont : Dramont, D (Joncheray, 1974, p. 27), Kyrenia (Katzev, 1972, p. 63) et Cala Culip IV (Nieto et al., 1989, p. 223) sur lesquels la cabine était implantée à l’avant et Dramont C avec une implantation centrale (Joncheray 1994, p. 19).  ↑
  • 4.  Sur l’épave de Grado (fin du iie ou début du iiie siècle après Jésus-Christ), en association avec une cargaison d’origine africaine, un tonneau en bois placé à l’avant du navire contenait du verre brisé destiné au recyclage (Giacobelli 1997, p. 311 et suivantes ; dell’Amico 1997, p. 93 et suivantes ; Auriemma, 1997, p. 129 et suivantes). Sur l’épave Ouest-Embiez 1, des fragments de verre ont été découverts, à plusieurs reprises mais en petites quantités, à l’intérieur d’amphores. Aucune d’entre elles n’ayant été retrouvées bouchées, il s’agit plus probablement d’infiltrations postérieures au naufrage.  ↑
  • 5.  Un ensemble de 200 à 300 bols moulés, a été découvert sur l’épave de la Tradelière (deuxième moitié du ier s. av. J.-C). Ils étaient disposés par piles de cinq éléments chacun séparés par une couche de matière végétale. Sur cette épave, il a été fait mention d’un conditionnement en caisses de bois. Sur l’épave des Embiez, aucun vestige ligneux, aucun petit clou, n’ont été retrouvés dans ce secteur. Par ailleurs, un papyrus égyptien d’époque romaine mentionne un envoi de verreries placées dans une corbeille (Papyrus Michigan, VIII, n° 468, Rougé 1969, p. 207).  ↑
  • 6.  Calcul établi par Emmanuel Nantet pour la publication intermédiaire en cours de préparation. Ce calcul suit la méthode d'évaluation du lest de l'épave de Cavalière (Charlin, Gassend, Lequément, 1978, p. 84). ↑ Retour au texte   → Note 11 
  • 7.  (Fontaine, Foy : « La cargaison de verre », rapport de fouille 2003, p. 8)  ↑
  • 8.  Si les vitres circulaires avaient été embarquées indépendamment des gobelets, lors d’une escale par exemple, elles auraient été placées au-dessus de ces derniers.  ↑

Titre du colloque : Verre et Fenêtre de l'Antiquité au 18e siècle

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