Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Mathieu LOURS, Université de Cergy (France)

Un problème insoluble : l’entretien des « vitres peintes » dans les églises parisiennes au xviiie siècle

Les problèmes inhérents à l’entretien

Les marguilliers affirment dans les registres de délibération avoir apporté le plus grand soin possible à l’entretien des vitraux. Or le résultat effectif de ces opérations laissa des vitraux dévastés et tombant en ruine.

Les grandes églises paroissiales furent généralement fidèles à un vitrier sur des périodes assez longues. À Saint-Gervais, de la fin du xviie siècle jusqu’en 1709 Janson, maître vitrier, puis sa veuve, assurèrent l’entretien, puis de 1709 à 1714 Chamus, de 1714 à 1723 Dujour père, de 1723 jusqu’au moins 1743 Dujour fils. Après la lacune dans les registres, de 1766 à 1791 nous trouvons Moreau comme vitrier de fabrique8. À Saint-Étienne-du-Mont on constate une fidélité exemplaire de la famille Le Vieil. Du début du xviiie siècle jusqu’en 1731 Guillaume Le Vieil assure l’entretien. De 1731 à 1735 sa veuve dirige l’atelier, enfin de 1735 jusqu’à sa mort en 1768 Pierre Le Vieil est en charge des vitraux de l’église9. Les registres de Saint-Merry deux noms seulement apparaissent dans tout le siècle : Delachambre en 1733 puis Lefort entre 1751 et 175510.

Le premier facteur que l’on serait tenté d’incriminer est la compétence de vitriers. Ceux-ci, même s’ils disposaient du savoir faire nécessaire ont-ils été les auteurs de graves négligences ; ont-ils appliqué des techniques inadaptées ?

Il faut tout d’abord constater que l’entretien des vitraux anciens fut le fait de quelques maîtres vitriers qui avaient passé marché avec plusieurs édifices. Tout d’abord Guillaume Brice, qui avait en charge Notre-Dame et la Sainte Chapelle et qui d’après Le Vieil était le meilleur artisan de Paris11. La famille Le Vieil avait en charge l’entretien de Saint-Étienne-du-Mont, de l’abbaye de Saint-Victor et la réalisation de certains ouvrages à Notre-Dame, principalement des réalisations de vitrerie neuves, l’entretien des vitraux anciens préservés (les trois roses) incombant plutôt à Guillaume Brice jusqu’à sa mort en 1758. Le petit nombre de maîtres spécialisés dans l’entretien nous indique-t-il que tous les vitriers ne maîtrisaient pas de la même façon les différentes techniques nécessaires et qu’il y eut certaines carences en ce domaine ? Nous pouvons illustrer ceci par deux exemples. À Saint-Gervais, en 1709, la veuve Janson avait en charge l’entretien des vitraux, mais ses ouvriers ne maîtrisaient pas toutes les techniques et elle dut s’adresser à un autre maître, en sous-traitance pour effecteur certains ouvrages précis. Il s’agissait de Chamus. La veuve Janson ne s’étant pas acquittée de ce qu’elle lui devait, le dit Chamus vint demander son dû aux marguilliers. À l’issue de l’entrevue, la fabrique congédia la veuve Janson et passèrent marché avec Chamus pour quatre ans12. Le critère de la compétence s’est sans doute associé à celui du rapport qualité-prix.

Même aspect qualitatif à Saint-Étienne-du-Mont en 1724. Le marguillier comptable « a remarqué que les vitres de la paroisse sont fort en désordre et que le nommé Vieil exécute très mal le marché qu’il a avec la fabrique mettant de l’ardoise au lieu de verre et qu’il a fait tenir avec du plâtre »13. Deux mois plus tard l’architecte revint visiter les vitraux et déclare qu’«[ils] ont été trouvés presqu’entièrement rétablis, le sieur Vieil qui avait en crainte qu’on ne le changea y avait fait travailler quatre compagnons pendant dix ou douze jours »14. Les marguilliers avaient donc dû sévir face à des négligences.

La remise en plomb n’exigeait aucune compétence que tout vitrier n’eut les moyens de posséder, elle n’en exigeait pas moins le plus grand soin car lorsqu’on déchausse les pièces des vieux plombs, les risques de les briser sont très grands. Le vrai problème venait de la fourniture en verre de couleur. La solution la plus simple, prônée par Le Vieil, consistait à insérer des éléments de verre de Bohème à la place des pièces cassées, de façon à assortir l’élément aux couleurs de l’ensemble15. Les marguilliers ont été attentifs à cette cohérence du vitrail qu’il fallait maintenir. Mais la solution du verre de Bohème était coûteuse, surtout dans le cadre de l’entretien ordinaire et le résultat n’était pas pleinement satisfaisant, la palette en étant assez limitée et les coloris très criards d’autant que l’on ne savait ou ne pouvait, faute de moyens, peindre à la grisaille les modelés manquants. Cette solution fut peu employée, peut-être uniquement par Le Vieil.

La véritable règle était le bouche-trou. Certains vitraux venaient d’églises « éclaircies » qui vendaient les vitraux ôtés au vitrier ou à tout autre acheteur de façon à économiser le coût de la nouvelle vitrerie. La paroisse pouvait aussi préférer garder la propriété des vitraux enlevés de façon à n’avoir pas à payer au vitrier la matière première en question. La fabrique de Saint-Merry avait tout d’abord penché pour la première solution dans le cas de l’éclaircissement de la chapelle de la Croix en 1733 : « la compagnie a autorisé et donné pouvoir à Mr Bousquet ou autre des dits S. Marguilliers de disposer des d. Vitraux et d’en faire tel marché qu’ils jugeront le plus avantageux pour lad. fabrique »16. Mais en 1737, on décide que « les vitraux du costé seront employé au rétablissement de ceux de l’église et des charniers » et conservés dans « une cazematte au-dessus de l’église »17. Lorsque les marguilliers imposaient des économies plus drastiques, du simple verre blanc fut parfois utilisé comme bouche-trou.

Les vitriers pouvaient donc difficilement conserver à long terme la cohérence d’une verrière. Surtout, la technique du bouche-trou restait coûteuse, impliquait un suivi très strict et une reprise de tout le plombage du panneau. Les marguilliers désiraient un entretien suivi, mais au moindre coût, en ne distinguant pas entretien des simples vitreries et celui de vitraux anciens, confiés ensemble et indifféremment à des vitriers qui restaient de « petits métiers » rémunérés assez chichement.

La différence de coûts entre l’entretien courant et l’entretien extraordinaire était très importante. La gestion de ce problème par les marguilliers est une des causes fondamentales du dépérissement des vitraux.

Dans les marchés passés généralement pour six ou neuf ans, parfois moins18, le vitrier reconnaît avoir reçu les vitres en bon état et s’engage à les rendre telles. Mais l’entretien minimum ne convient que si le vitrail est en bon état. En cas de grêle, de vents violents, d’orages ou d’accident, cela ne peut suffire et implique de coûteux travaux. Comme les marchés prévoient que le vitrier pourvoie à l’entretien extraordinaire, celui-ci doit faire l’avance du matériel employé pour réparer les vitraux abîmés et puisque les marguilliers peuvent très bien, lors de la réception de son mémoire, faire passer ces ouvrages extraordinaires dans le chapitre de l’entretien courant s’ils le jugent à propos, le vitrier en sera pour ses frais. En effet, la part de l’ «extraordinaire » est assez considérable. À Saint-Gervais le vitrier Dujour fils touchait 70 livres par an pour l’entretien ordinaire, en 1735, il touche 1 132 livres pour l’extraordinaire19 ce qui en fait le deuxième poste du budget accordé aux ouvriers, juste après le maçon, en 1737, il en demande 1 40020.

Les sommes retenues payables par la fabrique ne se montent qu’à 1 000 livres21. Le vitrier avait donc fait une avance de 400 livres qui ne lui seront pas dédommagées. Les mémoires sont toujours l’occasion d’âpres négociations entre le vitrier et la fabrique. L’artisan n’étant pas sûr d’être dédommagé finit généralement par ne plus prendre d’initiative. Or dans le premier tiers du xviiie siècle, les dernières mises en plomb générales du xviie siècle, les plombs des derniers vitraux installés arrivent à un âge critique. Ce sont d’énormes travaux à réaliser. Le vitrier ne peut en supporter les frais craignant de n’être pas dédommagé. Quant au marguillier comptable, il risque d’exposer sa gestion à un déficit. Or, le budget des fabriques était de plus en plus serré à mesure qu’on avance dans le xviiie siècle.

Une autre solution était possible : il s’agissait de constater l’état des vitres et de fixer au vitrier un bail de six ou neuf ans, en lui indiquant combien de panneaux il aurait à remettre en plomb chaque année et de vitres à nettoyer. Cette solution fut adoptée par la fabrique de Saint-Étienne-du-Mont en 174922. Mais cette solution ne se généralisa pas et ne pouvait prétendre sauver les vitraux d’un édifice dans la mesure où lors d’un accident la somme annuelle peut être aisément dépassée.

Dans les deux cas, les difficultés de paiement se multiplient. Les marguilliers payent parfois les vitriers en nature : en 1762 Pierre Le Vieil reçoit 100 livres « en pot de vin » par la fabrique de Saint-Étienne-du-Mont23. En 1758, la paroisse Saint-Merry abandonne à son vitrier « tout ou partie » des vitraux anciens conservés dans les « cazemattes au-dessus de l’église », ne pouvant honorer une dette de 3 000 livres à son égard24. À Saint-Étienne-du-Mont en 1760, la fabrique devant 2 042 livres à Pierre Le Vieil pour les arriérés de sept mémoires règle le problème par la constitution d’une rente au capital de 2.000 livres et ne payer que 52 livres au vitrier pour l’année 176025.

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La meilleure façon de résoudre les problèmes financiers dus à l’entretien était de revoir les coûts à la baisse. La première technique consistait à diminuer le coût global y compris de l’ordinaire, lorsque la fabrique connaissait des difficultés, pour ensuite mettre en place des contrôles plus stricts. Ce fut le cas à Saint-Gervais. Au début du siècle, les marguilliers traitent directement avec le vitrier et statuent au cas par cas sur ses mémoires, n’hésitant pas à adopter une série de compromis, comme par exemple que Dujour, entré au service de la fabrique en 1714 ait droit à 120 livres par an pour l’ordinaire là où son prédécesseur n’en demandait que 80, à charge pour lui de limiter les dépenses extraordinaires, puisque désormais tout ouvrage de ce type devait être précédé d’un ordre écrit rédigé par le marguillier comptable26. En 1729, un plan d’austérité est décrété par le marguillier comptable27 : tous les marchés « sont cassés à compter du 1er avril prochain est lesdt entretien seront mis au rabais après les fêtes de Pâques, pour les adjuger à ceux qui demandent moins »28.

La paroisse recherche un autre vitrier sur un seul critère : que ces exigences financières soient moindres. Le vitrier Dujour put renouveler son marché avec la fabrique, mais à moitié prix29. Il est évident que les vitraux pâtirent d’une telle réduction des budgets. L’architecte de la fabrique, le Sr de Varenne, reçoit, toujours en 1729, de plus larges attributions, il doit inspecter les ouvrages à réaliser, soumettre leur nécessité à une commission spécialisée, le marguillier comptable signe ou refuse leur exécution. En 1767, le contrôle s’affirme encore plus, un nouveau règlement est imposé aux ouvriers. L’architecte et deux marguilliers effectuent deux visites par an, dressent l’état des réparations en double exemplaire, un pour l’architecte, un pour le marguillier en charge. Ils transmettent leur ordre à des commissaires ayant chacun sous sa responsabilité un certain nombre d’ouvriers. Tous les ans au mois de janvier les ouvriers viennent présenter leurs mémoires et ne sont payés que s’ils on reçu un ordre écrit correspondant à leur mémoire30.

Avec Saint-Gervais et Saint-Étienne, nous avons eu affaire à deux paroisses gérées de très près par des équipes de laïcs très structurées et efficaces, dont la rigueur, peut-être influencée par un clergé jansénisant, s’adaptait mal aux spécificités du vitrail. À Saint-Merry, en revanche, les structures administratives demeurent moins contraignantes. Le résultat fut-il meilleur ? La paroisse ne se préoccupe que peu de l’entretien des vitraux, préférant dépenser au cas par cas, sans suivi véritable, et les marchés passés avec les vitriers ne nous sont pas parvenus. Ceci fut encore plus néfaste aux vitraux qui tombaient en ruine tous en même temps. De plus, la paroisse se lançait épisodiquement dans des dépenses somptuaires de construction de maisons ou de réfection de l’église dans le cadre des « travaux d’embellissement » de 1752. La gestion même de la fabrique préludait plus ici à une hécatombe qu’à un dépérissement.

Quoiqu’il en soit, l’entretien devint vite ingérable et les vitraux périclitent. Les marguilliers renoncèrent même à imposer la technique du bouche-trou. L’essentiel étant de maintenir un vitrage à l’église qui ferme hermétiquement, en renonçant à assumer la spécificité du vitrail et ses implications financières face à la vitrerie.