IV. La Guerre de Trente Ans et la nouvelle dynamique verrière
Marc de Hennezel de Vallois travaille toujours à Clairfontaine et Jacques de Bigot à Mondrepuis, mais les fournaises de Thiérache subissent le passage des troupes armées à partir de 1635. Marc de Hennezel de Vallois quitte Clairfontaine ruinée en 1636, pour se réfugier à Charles-Fontaine près de Saint-Gobain où il meurt en 163873. Sa verrerie échoit à Josué I de Hennezel en 164374, lequel se réfugie aux environs de Bruxelles75. La verrerie de la Rue Neuve à Mondrepuis disparaît aussi vers 163676. Le Huiberland à Fourmies, moins exposé que Clairfontaine qui se trouve sur la route d’Hirson à La Capelle sur le chemin des Espagnols, est épargné. De plus, Fourmies dépend des Espagnols. D’ailleurs, la verrerie du Houÿ-Monplaisir de Fourmies est toujours en activité comme le prouverait la présence de Hennezel de Belleroche en 1638.
En 1676, « le sieur de Hennezel de Grammont, maistre du fourneau de Wignehies »
s’inquiète de la concurrence et demande un privilège exclusif qui lui est refusé77. Cette usine à Wignehies dans le Hainaut n’est alors connue que par cette seule citation. Tout un faisceau de preuves confirme l’existence d’une verrerie en plat façon de Lorraine dans ce village. En effet, le 18 août 1646, Christophe de Hennezel passe une convention avec l’abbé de Clairfontaine pour établir « une fournaise à vitres en tables »
78 entre Avesnes et La Capelle, aucun lieu n’étant précisé. Cependant, le 15 octobre 1647, Charles, duc de Lorraine, accorde des lettres patentes en faveur de Christophe de Hennezel, écuyer, seigneur du Grandmont et Ranguilly79. La nouvelle fournaise doit s’installer non loin des anciens établissements de Marc de Hennezel, sur le mont Ranguilly. Un nouvel acensement est relevé en 165380. En 1657, Christophe de Hennezel est maintenu dans sa noblesse, seigneur du Grandmont et Ranguilly, par les officiers du Baillage de Vôge81. Christophe s’est donc approprié le Ranguilly, mais part, le 16 novembre 1658, diriger Christophe de Hennezel du Châtel père et fils et Clément de Hennezel du Châtel à la verrerie du Mont-de-Pierre82. Il gagne la verrerie de Namur en 166083. Enfin il rejoint le Sud de l'Avesnois en 1662 : il est parrain de Jeanne Bertrand, baptisée à Fourmies le 29 janvier84. Le 14 mars, il épouse Anne Laurence Caudron, fille de Guillaume, bourgeois d’Alost85. Christophe est alors nommé « maitre du four a vaire de Ranguilly »
.
Le 11 février 1666, Christophe de Hennezel de Ranguillies est confronté à la communauté de Wignehies pour non paiement de la taille86, imposition qui n’a pas lieu d’être pour un gentilhomme verrier. La verrerie du Ranguilly est donc bien à Wignehies. Cette dernière création d’un Hennezel dans la région bénéficie encore de l’effet frontière, le Mont de Ranguilly étant à cheval sur la France et le Hainaut, c’est-à-dire sur les « cinq grosses fermes » et une « province réputée étrangère » car nouvellement conquise. La verrerie de Wignehies s’arrête quelques temps après la signature de la Paix de Nimègue en 167887.
∧ Haut de pageConclusion
Le verre plat est donc façonné en Avesnois-Thiérache au moins depuis le xvie siècle, répondant alors aux besoins d’une clientèle locale. Sur la période concernée, une quinzaine d’établissements émergent autour de la frontière, parfois épisodiquement. Lorsque les Hennezel arrivent en Thiérache au tournant des xvie-xviie siècles, ils envisagent de fournir le marché des Pays-Bas que les verreries de Lorraine approvisionnent déjà. Ils rapprochent l’offre de la demande et ont compris combien la perméabilité de la frontière entre l’Avesnois espagnol et la Thiérache française est un atout. Ils ne sont pas les premiers car Guillaume Bongard a déjà créé des fours de chaque côté de la frontière à Follemprise et au Houÿ-Monplaisir. Les guerres incessantes ne permettent cependant pas de profiter d’une telle situation, quand ce n’est pas l’obédience religieuse qui pose problème. Au xviiie siècle, la fondation du « four d’En-haut » à Mondrepuis par les Colnet, en face du Houÿ-Monplaisir, reprend le schéma classique d’installation de part et d’autre de la nouvelle frontière entre les « cinq grosses fermes » et la province « réputée étrangère » du Hainaut88.
Ainsi la fabrication « lorraine » s’est implantée, imposée puis déplacée vers Momignies-Anor, Momignies étant toujours dans les Pays-Bas alors qu’Anor, village du Hainaut frontalier avec les Pays-Bas et l’Ancienne France, est devenu français. Antoine de Beugnies du Surginet à Momignies et Josué II de Hennezel d’Ormoy constituent une société d’exploitation de verre plat avec Guillaume Goulart d’Anor, se partageant le marché de 1679 à 168289. Et si cette alliance transfrontalière unique dure peu, c’est le début du siècle des Hennezel d’Ormois aux verreries d’Anor. Quant au Houÿ-Monplaisir, il passe en 1680 entre les mains d’Anne de Colnet. Il y est désormais uniquement question de « verres à bière […] vairs au vin […] tasses et […] petites bouteilles de verre »
90. La verrerie de Beauregard, entrée dans son patrimoine à la même époque, est fermée, le matériel transféré à Quiquengrogne91. Ce transfert signifie certainement l’imminente reprise d’activités en verre plat de Quiquengrogne sous les ordres de Lamery, époux Colnet92. Ces restructurations marquent la fin de la première phase du verre plat en Avesnois-Thiérache.
- 73. Arch. Dép. Aisne, B 1150, Bailliage de la Fère. ↑
- 74. Arch. Dép. Nord, C supplément 1141, Intendance, Anor. Verreries (XVIIIe siècle). ↑
- 75. Idem. ↑
- 76. À la même période que les autres verreries thiérachiennes. ↑
- 77. Arch. Nat., G7 287, Contrôle général de Finances, Correspondance du Contrôleur général des finances avec les intendants. Hainaut (1691-1698).
Wignehies, arrondissement d’Avesnes-sur-Helpe, département du Nord. ↑ - 78. Arch. État Namur, Minutes Darmont, notaire à Namur. Cela ne l’empêche nullement de signer un engagement comme fondeur auprès de Josué I de Hennezel le 22 décembre 1646. ↑
- 79. Hennezel d’Ormois J., 1902, Généalogie de la Maison de Hennezel, 1392-1902, Laon, imprimerie du Journal de l’Aisne, p. 10. ↑
- 80. Arch. Nat., F12 680, Commerce et industrie, États des usines et manufactures à feu dans chaque généralité : forges, verreries (1788-1789), cité par Ladaique G., op. cit., p. 262, note 47. ↑
- 81. Preuves de noblesse du 19 septembre 1657 ; Hennezel d’Ormois J., 1902, Généalogie de la Maison…, p. 11. ↑
- 82. Contrat avec Gratien Deleincourt ; Arch. État Namur, Minutes Darmont, notaire à Namur. ↑
- 83. Ladaique G., op. cit., p. 262. ↑
- 84. Registres de catholicité, État Civil de Fourmies. ↑
- 85. Assistent alors Moÿze de Hennezel, son frère, Frédérik de Guistel, seigneur de Thy en Brabant, son ami, et comme témoin, Christophe de Hennezel de Chatel demeurant à Mondrepuis ; Arch. Dép. Nord, J 792-372, Minutes Boussu, notaire à Fourmies. Les biens du Ranguillies sont ici estimés à 3000 livres, monnaie de Hainaut. ↑
- 86. Arch. Dép. Nord, C supplément 1141, Intendance du Hainaut, Anor. Verreries (XVIIIe). ↑
- 87. Selon le rapport de l’Intendant Voisin daté du 30 mars 1696 ; Arch. Nat., G7 287, Contrôle général de Finances, Correspondance du Contrôleur général des finances avec les intendants. Hainaut (1691-1698). ↑
- 88. Arch. Dép. Aisne, 3 Q 540-89, Actes civils publics. ↑
- 89. Contrat du 19 juillet 1680 ; Arch. Dép. Nord, 9 H 400, Abbaye de Liessies, Biens et droits. Féron. Hauts-Fourneaux (1602-1779). Association de l'abbaye avec la veuve Goulart. ↑
- 90. « Que le dit Colnet doibt sur trois muids d’héritages procédant d’une queue de bois de la haye de Fourmies où est scituée la verrie ». Cette liste d’objets en verre complète celle des redevances en nature dues à l’abbaye de Liessies ; Arch. Dép. Nord, 9 H 445, Abbaye de Liessies, Biens et droits. Fourmies. Rentes seigneuriales et rentes hypothécaires (1773). La veuve de Jean-Jacques de Colnet a acquis ce fief des Vaillant et le relève en 1681 ; Arch. Dép. Nord, XI B 612, Bailliage d’Avesnes, Pairie d’Avesnes. Répertoire des fiefs tenus de la cour féodale mentionnant des reliefs (XVIIIe). ↑
- 91. Michaux E., s.d., Le village et l’abbaye de Clairfontaine, Paris, imprimerie Bonvalot-Jouve. ↑
- 92. Communiqué des Verreries de Quiquengrogne, Journal de l’Aisne, 27 et 28 mai 1839. ↑