4. La fenêtre des yeux, miroir de la connaissance
Miroir où Te connaître
Comme le disait Theophile, il y a de la merveille dans le verre ! Ne le fabrique-t-on pas, souligne Jean de Meun, avec de la cendre de fougères19 ? Il n'est pas indifférent que ce soit cette plante hautement valorisée dans l'Herbier du Moyen Âge puisqu'elle guérit la cécité, la surdité, le mutisme, la paralysie voire l'amnésie et la sottise ! puisqu'il fallait pour la cueillir tout un rituel. Plante de magie blanche d'où naît le verre, emblème de toutes les clartés, lui auquel le poète comparera la Bien Aimée :
Je suis dans la joie ô dame quand je me souviens
De votre visage qui est la lumière du monde
Qui est plus clair que le cristal et bien plus que verrière20.
La flèche de lumière qui passe le verre rejoint la flèche envoyée par Lavine de sa fenêtre, le billet doux entourant la hampe ! Ainsi le rayon de l'amour passe par le cristal de l'œil pour aller éclairer jusqu'au fond le cœur ébloui de l'amant :
Douce dame comprenez-le sans peine
Tout comme dans l'église
Le soleil peut ficher ses rayons [...]
Puis se retire sans briser la verrière,
C'est ainsi, sachez le sans erreur,
Que la flèche put se ficher dans mon cœur
Et me blesser sans nul mal apparent21.
Image hautement sacralisée22 puisque les poètes l'ont infiniment reprise pour Marie que l'Esprit traversa de sa flèche de lumière afin d' y déposer la Vie au plus intime de son être : Jésus est né au cœur d'un éclair de lumière qui a traversé le miroir infiniment pur d'une jeune fille de cristal et ce miroir tendu aux hommes leur a offert la connaissance en dessillant les yeux obscurcis de leurs cœurs.
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Car quand les yeux se font miroir, celui qui s'y penche et découvre l'amour s'y voit en train de se voir et apprend sa propre essence en découvrant la Tout Autre qui mérite d'être appelée Rose, comme nous l'enseigne Guillaume de Lorris :
« Au fond de la fontaine, il y avait deux pierres de cristal ; quand le soleil qui regarde tout darde ses rayons, dans la fontaine et que la clarté pénètre jusqu'au fond, c'est alors qu'apparaissent dans le cristal plus de cent couleurs. L'endroit tout entier s'y reflète bien en ordre et il n'existe pas de détails aussi caché soit-il qui ne soit manifesté comme s'il était dessiné dans le cristal [...]
Dans le miroir entre cent autres choses, j'aperçus des rosiers chargés de roses23. »
C'est ainsi que le verre se révèle symbole privilégié de la Connaissance par le miroir ; résolution de toutes les antithèses, union de toutes les couleurs du prisme en une unique lumière, quand la flèche du savoir passe par le cristal des yeux, s'ouvrent les fenêtres de notre cœur pour appréhender en une seule transparence que le monde et la Création ne sont que merveilles.
- 19. Ne voit-on pas comment à partir de la fougère
Ils font naître la cendre et le verre
Ceux qui sont maîtres verriers Par une légère depuration ?
Pourtant le verre n'est pas fougère
Et la fougère n'et pas non plus verre... v. 16066 sq
Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun, 1992, traduction d'A. Strubel, Lettres Gothiques. ↑ - 20. Langfors A., « Mélanges de poésie lyrique », Romania, LVII, p. 336-7, strophe 2, v. 22 sq ↑
- 21. Petersen Dyggve H., Neuphilologische. Mitteilungen, XXXI, p. 44, strophe 5 de RS 1970 b. ↑
- 22. Sur cette image, cf. G. Gros, « La samblance de la verrine, description et interprétation d'une image mariale », Le Moyen Âge, 1991, p. 217-57. ↑
- 23. Le Roman de la Rose, édition citée, p. 117 sq ↑