III. Les peintres-verriers ou vitriers, dits « verriers »
Activités
Les ouvriers que les comptes appellent voirrier
étaient en fait des vitriers car leur activité ne concernait pas la fabrication du verre, mais uniquement son utilisation, c'est-à-dire la préparation, la pose et l'entretien des verrières, aussi bien pour les églises que pour les maisons traditionnelles. Il y avait donc une différence assez grande entre la fabrication des châssis de verre, voire de toile, et celle des vitraux qui demandait une technique plus compliquée.
Le travail des verriers/vitriers dans la construction courante est mal connu car les comptes n'en parlent presque pas. Il s'agissait pour eux de mettre des panneaux de verre dans des châssis ou éventuellement dans des croisées. La technique de pose était la même que pour les vitraux, mais on se contentait en général de verre blanc ou coloré sans lui faire subir le plus souvent de transformations. Il n'en allait pas de même pour les vitraux. Les comptes nous permettent de suivre clairement l'activité des « verriers » de la cathédrale ou de quelques églises paroissiales mais la préparation même des panneaux de verre est assez peu décrite parce qu'elle avait lieu dans leur atelier. Il faut donc le plus souvent avoir recours aux traités de l'époque pour saisir les premières phases de leur travail.
Le verre utilisé pouvait être déjà coloré mais cela ne suffisait pas pour créer les représentations qui étaient demandées à ces artisans. Le travail d'élaboration du vitrail se faisait sur une table à partir de cartons c'est-à-dire d'une esquisse agrandie à la taille de la fenêtre. En fonction des indications, le « verrier » choisissait les verres parmi les plateaux et les tables qu'il avait à sa disposition et effectuait ensuite l'assemblage. En avril 1380, le « verrier » Guillaume Nouel fut engagé par les procureurs de la fabrique de la cathédrale pour verrier l’O de Saint-Romain
, en y représentant une tête de Christ sur un suaire et les quatre Évangélistes, travail qu'il devait effectuer ainsi richement et ainsi noblement comme est l’O de devers la Vieu Tour et ainsi que l’O de parmi au mieulx qu'il pourra
44. Un siècle et demi plus tard, en 1523, le « verrier » Gabriel Harenc fit un panneau sur le portail du petit cimetière de l’église Saint-Maclou avec les vitres qui provenaient de la chapelle de l'Annonciation45. De même, il refit entièrement douze panneaux des verrières mais se contenta d'enlever ce qui était irrécupérable et de le remplacer par cent trente pièces de verre. Une fois la peinture réalisée, le verre était cuit modérément
au four. C'est la première des opérations qui apparaissent régulièrement dans les comptes.
Les verriers/peintres-verriers devaient donc avoir des qualités artistiques puisqu'on leur demandait des reproductions classiques des images pieuses ou des vertus chrétiennes. En 1420, le bourgeois Robert Alorge remit en état la chapelle que son père possédait avant sa mort dans l'église Saint-Martin-du-Bout-du-Pont et fit notamment refaire par le « verrier » Jehan Margerie, le voirre qui autrefois a servy à une bée du cuer devant icelle chapelle, pour mettre en la plus grande fourme de lad. chapelle
. Le « verrier » devait enlever des personnages d'ommes et de femes
qui y étaient et les installer dans une autre verrière. Il devait aussi remplacer les armes du père par celles du fils. Toutefois, le travail de Jehan Margerie se limitait à la fourniture du verre et à la pose des verrières car il était spécifié dans son contrat que toutes les ymageries
qui seraient installées, passeraient par la main de Jehan de Harefleur
, qui était sans doute un peintre réputé46. En général toutefois, la peinture des verrières était l'œuvre des peintres-verriers eux-mêmes qui avaient une activité identique à celle des véritables peintres. En 1377, Guillaume Besoche, qualifié de peintre, reçut 10 livres pour une tasche de verrerie au chastel de gaillart
47. En 1444, Michel Trouvé, dora deux angelots et le bras de la statue de Saint-Maclou, dans l'église du même nom48. De même, en 1459, Jehan Le Moine, habituel de l'église Saint-Nicolas, peignit un quievrechief à deulx ystoires pour la fête du Caresme
49. En 1532, le « verrier » Gabriel Harent peignit sur une des verrières de l'église Saint-André la vertu d'attrempance
(de tempérance) qui était très à la mode à l'époque. Les peintres-verriers utilisaient aussi leurs aptitudes artistiques pour peindre les toiles enduites de térébenthine qui étaient mises dans les châssis de bois des fenêtres50.
Les différentes pièces des verrières étaient assemblées à l'aide de plomb et les joints mastiqués pour rendre le panneau imperméable. Enfin, pour assurer la rigidité de l'ensemble, des petites pièces de bois ou de fer appelées paillettes étaient fixées par endroit au réseau de plomb à l'aide de soudures. A partir de 1466, à la cathédrale, les paillettes, sans disparaître totalement, furent remplacées par des clous à esseul, appelés aussi clous à voirrier, qui pesaient quatre livres par millier51. On apprend aussi que les ouvriers utilisaient de grans clous fétis qu'ilz fichoient sur leurs establies pour retenir et afermer ensemble les panneaux de verre quant ilz les reparent
52. Les différents panneaux des vitraux étaient ensuite posés dans les baies, ce qui est la partie de leur travail que les comptes décrivent le plus. Les peintres-verriers opéraient sur des échafaudages un peu particuliers, fixés le plus souvent sur des chevrons. Les fenêtres étaient à cet effet pourvues de barlotières, autrement dit de barres de fer scellées dans la pierre sur lesquelles venaient s'appuyer les panneaux. Pour maintenir les panneaux de verre entre les barlotières, des barres de fer, rondes ou carrées, appelées verges, étaient placées à intervalles réguliers et attachées aux verrières au moyen de petites bandes de fer soudées au plomb des sertissures du verre53.
Les fenêtres étaient à cet effet pourvues de barlotières, autrement dit de barres de fer scellées dans la pierre sur lesquelles venaient s'appuyer les panneaux. Pour maintenir les panneaux de verre entre les barlotières, des barres de fer, rondes ou carrées, appelées verges, étaient placées à intervalles réguliers et attachées aux verrières au moyen de petites bandes de fer soudées au plomb des sertissures du verre53.
Les verrières des églises comprenaient parfois des ouvertures qui étaient appelées huys. En 1433, une fois que les nouvelles verrières de la cathédrale furent achevées, les chanoines demandèrent aux « verriers » d'installer un châssis pour un huys fait de verre dans la grande verrière pour aerer le chœur par temps pluvieux et nuageux
. Par la suite, d'autres fenêtres, c'est-à-dire le plus souvent des châssis fixés à l'intérieur des panneaux, furent installées dans les autres verrières54.
Installations assez fragiles, les verrières des églises étaient sans cesse menacées. Elles étaient à la merci des intempéries. Les vents, les orages et surtout la grêle étaient à l'origine de fréquentes dégradations, Elles suscitaient aussi le vandalisme plus ou moins volontaire55. De même, il était assez facile de pénétrer dans les églises ou les sacristies en brisant une partie des verrières. C'est pourquoi, il était habituel de les protéger à l'aide de grilles faites avec divers matériaux, le plus souvent à l'aide d'ercal, autrement dit de laiton. On en faisait un « grillage » fin mais résistant qui pouvait aussi bien être l'œuvre du « verrier » lui-même que d'ouvriers plus spécialisés, comme les espinguiers, héritiers au xvie siècle des tireurs de fil de fer du début du siècle précédent.
À l'église Saint-Laurent, en 1518, on mit cinq chassîs de bois ercallez (...) pour évyter que les verrières fussent plus cassés et rompues
56. La mesure ne fut pas étendue à toutes les verrières de l'église et en 1533, des larrons brisèrent les vitres de la sacristie pour y pénétrer57. L'année suivante, le « verrier » dut reboucher d'autres trous dans plusieurs verrières de la nef sur lesquels le fossier de l'église avait provisoirement mis et collé plusieurs pièces de papier pour boucher les pertuis afin éviter que les courants d'air n'éteignent le luminaire sur lequel étaient disposés les cierges. Par ailleurs, la solidité des assemblages pouvait, à la longue, se ressentir d'un entretien aléatoire. Les comptes de l'église Saint-Maclou qui nous sont parvenus ne font état d'aucun travail d'entretien des verrières pendant la deuxième moitié du xve siècle et c'est sans doute pour cela qu'en 1520, le « verrier » Jehan le Vieil dut refaire trois penneaulx à voirre qui estoient tombés des grans ventz
.
Les « verriers » n'avaient pas seulement à réparer les vitres cassées. Dans la mesure où l'emploi de verre était destiné, comme le disaient les chanoines lorsqu'ils firent percer des fenêtres dans la nef de la cathédrale, à mieulx enluminer
les lieux où il était installé, les peintres-verriers/vitriers étaient aussi chargés de maintenir la propreté des verrières. L'entretien des verrières était la tâche principale du « verrier » de la cathédrale qui, année après année, était payé pour le nettoyage des vitres des chapelles et la réfection des peintures des bordures qu'il faisait régulièrement recuire. En 1478, par exemple, le « verrier » remit à neuf la sixième verrière de la nef qui fut desassize, refaite, retafflée, mise en gros plomb neuf, levée, escuppée pièce apres pièce, reliée tout de neuf, rassize et mise en sa place
, puis en 1480, il répara une autre fenêtre dans la chapelle Sainte-Anne qui fut mise en gros plomb
après qu'il eut paint et recuit les bordures
.
À l'église Saint-Laurent de Rouen, au début du xvie siècle, les réparations avaient lieu tous les ans, le 10 août, lors de la fête paroissiale. Comme la chaleur était étouffante dans l'église à cause de la foule et de la saison, on enlevait les verrières et le « verrier » en profitait pour faire les travaux nécessaires. En 1519, Cardin Robert rabilla huit penneaulx levée à cause de la chaleur et mit deux pièces de verre ystoré à une des verrières du cuer de l'ëgIise
. L'année d'après, il répara deux trous qui se trouvaient dans les grandes verrières du chœur. Mais l'essentiel de son travail, outre ces réparations, consistait à laver et récurer les panneaux de verre avant de les remettre en place.
Les « verriers » ne se contentaient pas de faire des verrières. Ils fabriquaient toutes sortes d'autres objets de verre qu'il n'est pas nécessaire d'énumérer de manière exhaustive. Ils installaient notamment des lanternes dans les églises ou des « cages » de verre, comme celle qui fut achetée en 1438 pour placer des objets religieux dans la chambre de parement de l’hôtel rouennais de l'archevêque58.
Pour effectuer leur travail, les « verriers » possédaient un matériel et des outils nombreux et variés. Un inventaire de 1404 permet de s'en faire une idée même si les termes ne sont pas toujours faciles à définir59. On trouvait donc des clous à enclore
et deux graisseurs, deux fers à souder, unes paremes (?), un coustel à pates, une lime, un moulle de pierre de liais à soudure et deux moules à plain de pierre distre (bistre)
, une cisaille, un compas, un établi et deux tréteaux, une petite table, deux petites cuvettes à lessive, une limitte
et une cuillère de fer. Il y avait enfin des sacs et un coffret de bois pour mettre les parchemins, certainement ceux des devis ou des modèles à suivre. Il s’agissait donc d’un outillage composite comprenant des outils d'autres professions comme celles de plombier ou de peintre, ce qui n’avait rien pour surprendre, étant donnée la diversité de leurs activités.
Effectifs
Même si le verre était assez courant en Normandie au xive siècle, sa solidité réduisait grandement les occasions d’intervenir pour les peintres-verriers/vitriers, qui de ce fait, n’étaient pas très nombreux. On n'en compte, aussi bien dans les registres de tabellionage que dans les comptabilités, pas plus d’une vingtaine à Rouen pour la période allant de 1360 à 152060. Comme les autres ouvriers exerçant des professions relativement rares, les « verriers » rouennais étaient amenés à se déplacer parfois sur de grandes distances pour exercer leur activité. En 1369, pour les réparations effectuées aux châteaux de Vernon et du Goulet, il fallut faire appel à deux ouvriers, Jehan Pignan dit Verrier de Neaufle et Guillaume Bezoche également dit Verrier d'Andeli61. En 1384, c'est le « verrier » rouennais Guillaume Savoure qui installa les verrières de la chapelle du manoir royal de Saint-Germain-lez-Evreux62. D’ailleurs, le contrat d'association qui liait les « verriers » Philippot Coullart et Colin Bacheler prévoyait que se ilz n'avoient assez à besongner à Rouen pour eulx enbesongner ensemble et l'ung deulx pourroit aller besongner dehors se il plaist à l'autre
63. C'est effectivement ce qui se produisit puisque Philippot Coullart fut chargé au moins jusqu'en 1413 de l'entretien régulier des verrières du château de Gaillon64.
De même, il n'existait apparemment pas de « verriers » à Montivilliers où l'utilisation du verre était limitée. Au début du xve siècle, on faisait appel à Jehan d'Espaigne qui habitait Harfleur pour réparer les verrières de la salle de l'abbaye et celles de la chapelle de l'abbesse65. Pendant l'occupation anglaise, la ville de Harfleur fut livrée aux Anglais et c'est l'un d'entre eux Raoulin Reuoin (Brown?) qui travailla désormais pour l'abbaye66. À Tancarville, on préférait faire appel aux verriers de Rouen
comme ceux dont on ignore les noms qui vinrent, tous frais payés, en 1430 pour veoir et apprecier les réparacions de voirrerie du chastel
67. La guerre n’améliora évidemment pas les choses et, en 1447, quand le chapitre cathédral décida de réparer les dégâts causés par un orage aux verrières du chancel de Londinières, on envoya chercher, sans grand espoir, un « verrier » à Neufchâtel-en-Bray68.
Après la reconquête de la Normandie, les verriers-vitriers restèrent absents des petites villes de la Basse-Seine et l'abbaye de Montivilliers continua à faire appel à un « verrier » de Harfleur tandis qu'au château du Bec-Crespin ce fut un machon et charpentier et huchier
qui installa les verrières qui venaient d'être réparées à partir de verre récupéré69. En 1517, le receveur de l'abbaye du Valasse dut se rendre à Rouen pour faire faire les verrières où étaient imprimées les armes de France
70 et en 1518, pour les travaux effectués à l'église de l'abbaye de Fécamp, c'est le vitrier rouennais Mathieu Lorin qui fut engagé notamment pour refaire des escussons à chapeau et les armes de Fescamp avecques les bordeures
aux verrières de la chapelle Saint-André71.
Au xvie siècle toutefois, l'utilisation de plus en plus fréquente du verre dans les habitations, même modestes, entraîna un accroissement du nombre des "verriers" – qu'on commença à appeler vittriers
72 – et qui commencèrent à apparaître dans les villes de moindre importance. La ville de Bolbec en possédait au minimum un en 1521 et il y en avait deux à Dieppe vers 153473. C'étaient d'ailleurs des peintres-verriers dieppois qui assuraient l'entretien des verrières des églises de la seigneurie archiépiscopale de Saint-Nicolas d'Aliermont74. Néanmoins, pour des travaux délicats, on continuait à faire appel à des artisans rouennais. Toutefois, au cours de la première moitié du xvie siècle, les préoccupations artistiques devenant plus importantes dans le choix des peintres-verriers, en 1513, le cardinal d'Amboise, archevêque de Rouen et ministre du roi Louis XII, fit appel à un « verrier » d'Orléans, Antoine de Chénesson pour les verrières de la chapelle du château de Gaillon alors qu'il y avait d'autres peintres-verriers à Rouen, notamment Jehan Barbe, qui était connu des responsables de l'archevêché. La réputation des ouvriers était donc un élément non négligeable pour les travaux de plus en plus artistiques75.
Les comptabilités et les registres du tabellionage montrent par ailleurs qu'à Rouen, on ne trouvait que quelques peintres-verriers/vitriers pour une même période mais que leurs situations financières étaient parfois assez diverses. Au cours de l'occupation anglaise, certains se trouvèrent en position de monopole. À partir de 1434, Jehan de Senlis, apparaît comme le seul « verrier » rouennais disponible dans les bâtiments officiels. Il intervenait à l'archevêché où il entretenait régulièrement les fenêtres et fournit, par exemple, la cage de verre dont on a parlé plus haut. Il travaillait aussi au château de Rouen où il refit en 1436 les verrières des chambres de la veuve du régent Bedford qui estoient tout rompuez et casséez
. En 1438, il travailla dans la chapelle et dans la salle du conseil et, en 1442, effectua d'autres réparations dans la plupart des pièces, notamment dans la chambre de parement où il remplaça les panneaux de verre blanc par d'autres qui furent painctes come devant avoient esté
. Il fut également envoyé à Vernon en 1444 pour y refaire toutes les fenêtres qui étaient dans un état lamentable, pleines de trous dans lesquels on avait boustés es boustz, grans poingniées de foin ou feurre, où autrement l’en eust peu tenir
et dont on ne pouvait plus ouvrir les châssis sans faire tomber des lozenges de voirre
. Il travaillait également pour la municipalité et, en 1448, refit les verrières de l'Hôtel de Ville76. Activité incessante qui dut lui procurer une certaine aisance qu'il est malheureusement impossible de préciser davantage faute de mention dans les registres du tabellionage. Jehan de Senlis mourut vers 1449 et fut remplacé aussi bien à l'hôtel de Ville qu'au château et à l'archevêché par Jehan Lemoine qui exerça le même monopole que lui jusqu'en 146677.
Jean Lemoine laissa progressivement sa place à Michel Trouvé qui joua un rôle nettement plus important à Rouen pendant une trentaine d'années. Son cousin Robin Trouvé était maçon-entrepreneur et les deux hommes étaient peut-être les petits-fils de Jehan Trouvé, maçon peu qualifié qui travaillait sur le chantier du pont de Seine de Rouen en 140878. On ignore tout des débuts de Michel Trouvé mais on peut supposer que c'est seulement dans les années 1450 qu'il eut son propre atelier. À partir de 1455, il apparaît dans la comptabilité de l'archevêché chaque fois qu'il y a des réparations à faire. Cette année-là, par exemple, il fit d'importants travaux aux verrières du manoir archiépiscopal de Déville, puis répara les nombreuses verrières de l'archevêché. Il y fut ensuite présent chaque année pour des travaux plus ou moins importants jusqu'à sa mort en 148979 et c'est sans doute grâce à ses relations avec les représentants du cardinal d'Estouteville qu'il fut engagé pour les travaux importants qui furent effectués en 1471 au prieuré de Grandmont80, sur la rive gauche de la Seine. Il réparait également les verrières de l'église Saint-Maclou et travaillait sans doute aussi pour l'abbaye de Saint-Ouen81.
Michel Trouvé avait aussi des intérêts, on l'a dit, dans la région de Buchy, d'où sa mère était originaire. Dès 1460, il porta le titre de bourgeois de Rouen et vivait dans la paroisse Saint-Maclou où il était considéré comme un notable et était parfois choisi comme trésorier de la fabrique82. Il avait environ quarante ans car il maria sa fille Jehannette à un autre « verrier » Etienne Bernard, dont on ne sait rien par ailleurs83. Il lui donna comme dot, une rente de 40 sous qu'il possédait depuis 1459, pesant sur Martin Morin d'Etrépagny car, comme beaucoup d'autres artisans, il plaçait en rente l'argent qu'il tirait de ses chantiers84. D'ailleurs, en août 1465, il acheta à un huilier de Vernon, 60 sous de rente et en 1472, il acheta encore 20 sous de rente à un autre huilier de la paroisse Saint-Jean de Rouen qui lui devait déjà 5 sous par an85. Il avançait donc apparemment l'argent nécessaire à ses fournisseurs pour qu'ils effectuent leur travail et devait se rembourser ensuite en huile qu’il utilisait pour ses travaux de peinture. En 1465, il avait également pris à louage pour 20 sous par an une maison appartenant à l'abbaye Sainte-Catherine qui était contiguë à celles du chapitre de la cathédrale. Cette location était assez avantageuse car Michel Trouvé ne devait rien payer pendant les trois premières années du bail mais faire réparer la maison qui était en ruine. Cette condition était assez facile à remplir, étant donné ses liens avec les autres ouvriers du bâtiment. En 1473, en effet, il acheta 40 sous de rente à Jehan Pontif, maître des œuvres de maçonnerie du roi. Il était donc dans une situation financière assez brillante et, en 1476, il acheta à son cousin Robin Trouvé pour 8 écus d'or (12 livres 8 sous), qu'il paya sur le champ, un jardin proche de Rouen, situé dans la paroisse de Blosseville86. En 1485, il acheta encore 60 sous de rente à un habitant de Vernon où il semble avoir eu des intérêts, peut-être parce que c'était par là que passait le verre de la forêt de Lyons qu'il se procurait. En 1487, c'est au curé de Frettemeule-en-Caux, qu'il acheta en deux fois 70 sous de rente. Il continua jusqu'à sa mort à utiliser les placements en rente et, en décembre 1488, racheta à certains de ses voisins, pour 7 livres et demie, une rente de 15 sous pesant sur un habitant d'Oissel87. Au total, comme aucune de ces rentes ne semble avoir été rachetée, c'est au moins 270 sous qu'il acquit durant sa vie, soit un capital de 135 livres sans compter ses autres possessions comme sa maison ou le jardin de Blosseville.
Une telle aisance financière s'explique évidemment par son activité incessante à Rouen et dans les environs, qui était elle-même le reflet de la reconstruction et de l'utilisation croissante du verre. Toutefois, Michel Trouvé n'était pas le seul peintre-verrier à Rouen pendant cette période. On ne faisait jamais appel à lui pour les travaux à la cathédrale qui étaient confiés à Guillaume Barbe puis, à partir de 1497, à son fils Jehan Barbe. L'aisance de cette famille était nettement moins grande ou, en tous cas, elle n’apparaît pas aussi nettement88. Guillaume Barbe habitait près de l'hôpital de la Madeleine, une maison de la paroisse Saint-Nicolas dont l'enseigne était un écu de verre et sur laquelle pesait une rente de 47 sous 6 deniers appartenant à la fabrique de cathédrale. En 1467, il devait près de deux ans d'arriérés et les receveurs avaient pris l'habitude de ne pas lui payer la totalité des factures qu'il leur fournissait pour les travaux d’entretien des verrières existantes. En 1489, il remplaça Michel Trouvé à l'archevêché – toujours uniquement pour des travaux d’entretien – mais sa situation financière restait difficile car, en 1486, il avait dû vendre une rente de 4 livres dont, six ans plus tard, il ne réussit à racheter que la moitié alors que c'était le dernier délai89. Il semble donc que le fait de ne travailler pratiquement que pour une seule église et surtout pour y faire seulement des travaux d'entretien, ait été moins rentable que l'activité de pose exercée par Michel Trouvé dans divers lieux de la ville. Jehan Barbe, le fils de Guillaume, dut, lui aussi, multiplier les chantiers d’entretien et, en plus de son activité régulière à la cathédrale, il travailla pour l'archevêché, l'église Saint-Nicolas et le collège des notaires en cour d'Église sans pour autant améliorer sa situation économique90.
Conclusion
On constate donc que si l’emploi du verre, en particulier chez les particuliers, déjà non négligeable au xive siècle, a nettement augmenté pendant les deux derniers siècles du Moyen Âge, la situation économique des peintres-verriers/vitriers, de plus en plus nombreux, ne s’est améliorée que pour ceux dont les compétences techniques ou artistiques étaient reconnues. Désormais, la séparation entre le simple vitrier et l’artiste-verrier ne pouvait que s’amplifier au détriment des premiers.
- 44. Arch. dép. Seine-Maritime, G 2483, fol. 88v. Texte publié par de Beaurepaire Ch., 1904, Derniers mélanges, Rouen, p. 116 et G 2118, fol. 88. il est probable qu'il s'agissait de Willaume Noel qui refit les verrières du château de Hesdin en 1366. Dehaisnes G., 1886, Documents et extraits concernant l'histoire de l'art de la Flandre, l’Artois et le Hainaut avant le xve siècle, Lille, p.463, cité par Allinne M., 1912, « La façade occidentale de la cathédrale de Rouen. Étude sur la sculpture au xive siècle », Bulletin des Amis des Monuments rouennais, 1912, p. 73-100. ↑
- 45. Arch. dép. Seine-Maritime, G 6881, fol. 154 et 157v. ↑
- 46. Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1/168, fol. 473v, 23 novembre 1420. ↑
- 47. Bibl. nat. France, MF 26013 [1901]. ↑
- 48. Arch. dép. Seine-Maritime, G 6878, fol. 137. ↑
- 49. Arch. dép. Seine-Maritime, G 7323, fol. 140v. ↑
- 50. Bibl. nat. France, MF 26070 [4626] et [4712]. ↑
- 51. Arch. dép. Seine-Maritime, G 2501, fol. 98v. ↑
- 52. Arch. dép. Seine-Maritime, G 2483, fol. 63v. ↑
- 53. Viollet-le-Duc E., 1861, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du xie au xvie siècle, Paris, T. 9, p. 355, art. « Vergettes ». ↑
- 54. Arch. dép. Seine-Maritime, G 2501, fol. 98v. ↑
- 55. Un contrat d'entretien des vitraux de la Sainte-Chapelle de Dijon, prévoyait les cas où les verrières seraient
cassées par trait d’arc de arbalestre ou par rup de pierre
. Didier Ph., 1971, Recueil de textes relatifs au travail en Bourgogne aux xve et xvie siècles, Archives départementales de la Côte d’Or, multigraphié, p. 133. ↑ - 56. Arch. dép. Seine-Maritime G 6800, F'40V'. On trouve la même chose à l’église Saint-Etienne-des-Tonneliers. Compte de 1541-1544. Arch. dép. Seine-Maritime, G 6474, fol. 22v. ↑
- 57. En 1538, l'église Saint-Michel fut, elle aussi,
robée
par des voleurs qui entrèrent en faisant un trou dans la verrière. Arch. dép. Seine-Maritime, G 7164, fol. 255. ↑ - 58. Arch. dép. Seine-Maritime, G 39, fol. 48-v. ↑
- 59. Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1/159, fol. 67, 4 janvier 1404 (n.s.). ↑
- 60. Ce chiffre est évidemment un minimum car un certain nombre de s n’apparaissent pas dans nos comptes ou seulement de manière très fugitive. C’est le cas en 1371 pour Colas Thorel ou en 1406 pour Léonet de Montigny, tous deux de la paroisse de Saint-Nicolas le Painteur de Rouen, qui n’apparaissent dans les comptes que parce qu’ils ont été condamnés à une amende pour une raison non précisée par le chapitre cathédral. Arch. dép. Seine-Maritime, G 2115, 30 août 1371 et G 2120, 20 mars 1406 (n.s.). Jean Chevallier, lui, nous est connu parce qu’il reçoit, en 1442, soixante sous «
parce qu’il affirmait être en perte pour la façon d’une verrière neuve placée dans la nef de la cathédrale
». Arch. dép. Seine-Maritime, G 2130, 20 novembre 1442. En 1469, un Jean le Chevallier, peintre et verrier, vend avec son frère Raoul, prêtre, une rente de soixante sous à un bourgeois de Rouen. Il n’est pas sûr que ce soit la même personne mais, dans les deux cas, les difficultés financières des personnages cités sont évidentes. Arch. dép. Seine-Maritime 2E1/197, 2 janvier 1469 (n.s.) ↑ - 61. Bibl. nat. France, MF 26008 [773], Le contrat avait d'ailleurs été
fait avec regard de justice, devant le juré
, c'est-à-dire sans doute le maître des œuvres. ↑ - 62. Lafond J., 1940, « Les vitraux royaux du xive siècle à la cathédrale d’Évreux », Bulletin monumental, T.CL, p. 57, 93. ↑
- 63. Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1/159, fol. 67, 4 janvier 1404 (n.s.). ↑
- 64. Arch. dép. Seine-Maritime, G 583, fol. 32v. ↑
- 65. Arch. dép. Seine-Maritime, 54 H 89, fol. 34v. ↑
- 66. Arch. dép. Seine-Maritime, 54 H 91, fol. 131. ↑
- 67. Arch. dép. Seine-Maritime, 1 ER 29, fol. 81v. ↑
- 68. Arch. dép. Seine-Maritime, G 2131, 11 août 1447. La même carence de verrier se retrouvait pour les réparations des verrières des églises de Brachy, Manneville-la-Gouppil, Cailleville, Amfreville-la-Campagne, Sassetot et Triquerville. ↑
- 69. Arch. dép. Seine-Maritime, 54 H 111, fol. 120v. Colin du Pont installa des verrières neuves à la maison qui venait d'être construite et rassis les panneaux du cabinet particulier de l'abbesse Il retravailla pour l'abbaye en 1473. Arch. dép. Seine-Maritime, 54 H 116, fol. 82. Pour le Bec-Crespin Arch. dép. Seine-Maritime, 1 ER 1396, fol. 205v et fol. 206, compte de 1456-1457. ↑
- 70. Arch. dép. Seine-Maritime, 18 H 12, fol. 116v. ↑
- 71. de Beaurepaire Ch., 1909, Derniers mélanges, Rouen, 1909, p. 267-271. ↑
- 72. Par exemple à Dieppe, à partir de 1526, au plus tard, Arch. dép. Seine-Maritime G 428, fol. 55v et à Rouen, à l'église Saint-Maclou en 1533-1534, Arch. dép. Seine-Maritime, G 6883. ↑
- 73. Pour Bolbec, Arch. dép. Seine-Maritime, G 2511, fol. 65. Il y avait à Dieppe, Jehan le Marchant et Alain Selles. Arch. dép. Seine-Maritime, G 433, fol.58v et G 435, fol. 39v. ↑
- 74. Arch. dép. Seine-Maritime, G 409, fol.7v ; G 423, fol.20v ; G 428, fol. 55v ; G 433, fol. 58v. ↑
- 75. Arch. dép. Seine-Maritime, G 95, fol. 32. ↑
- 76. Arch. dép. Seine-Maritime, G 35, fol. 54 et 55v, G 37, fol. 22 ; G 39, fol. 28, G 40, fol. 110, G 42, fol. 46v ; BN MF 26060 [2730], MF 26065, [3668], MF 26069 [4501], MF 26070 [4626] ; Arch. nat. KK 1338 [100] ; Archives mun. de Rouen. XX 1, fol. 92v. ↑
- 77. Arch. dép. Seine-Maritime, G 645, fol. 29 ; G 7323, fol. 106v' et suiv. ; 2E1/189, 4 juin 1460, 2E1/190, 17 octobre 1461. ↑
- 78. Bibl. nat. France, MF 26035 [4111] , Arch. dép. Seine-Maritime 2E1/199, 1er février 1477 (n.s.). ↑
- 79. Arch. dép. Seine-Maritime, G 53, fol.39 et 41 ; G 54, fol. 37v ; G 55, fol.40 ; G 57, fol.37v ; G 58, fol. 35v ; G 59, fol. 28 ; G 62, fol.23 ; G 63, fol.23v ; G 66, fol.25 ; G 68, fol. 18v ; G 67, fol. 36 ; G 70, fol. 28 ; G 72, fol. 18 ; G 74, fol. 28 ; G 75, fol. 28 ; G 77, fol. 25. ↑
- 80. Arch. dép. Seine-Maritime, D 232, fol. 19v. ↑
- 81. En 1468, il fait la verrière du chancel de l'église. Archives mun. de Rouen., Y 174, p. 200. ↑
- 82. Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1/191, 17 novembre 1460. Arch. dép. Seine-Maritime 2E1/194, 8 août 1465 et 2E1/199, 1er juin 1472. Il fut trésorier de la fabrique de l'église Saint-Maclou de 1476 à 1479, Arch. dép. Seine-Maritime G 6878, fol. 1. ↑
- 83. Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1/193, 17 novembre 1463. Etienne Bernart ou Besnart travaillait peut-être dans l'atelier de Michel Trouvé. En 1482, il était qualifié de bourgeois et vendit 60 sous de rente, peut-être à son beau-père. Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1/207, 24 avril 1482 ↑
- 84. Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1/194, 31 août 1465. Etrépagny (Eure), chef-lieu de canton, arr. des Andelys. On remarquera une, fois de plus les intérêts qu'il avait dans la forêt de Lyons, où il se fournissait certainement en verre. ↑
- 85. Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1/199, 11 février 1472 (n.s.). ↑
- 86. Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1/201, 8 novembre 1476. Blosseville, ancienne commune du canton de Rouen intégrée à Bonsecours. ↑
- 87. Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1//210, 20 avril 1485 et 2E1/211, 15 mai 1487 et 20 juin 1487. Frettemeule, canton d'Yerville, arr. de Rouen. Arch. dép. Seine-Maritime, 2E1/212, 27 décembre 1488. ↑
- 88. Callias-Bey M., 1997, « À ʻl’escu de voirreʼ : un atelier rouennais de peinture sur verre aux xve et xvie siècles », Bulletin monumental, t. 155, (3), p. 237 et suiv., présente, sans aucune source réelle, Guillaume Barbe comme un verrier important de Rouen, engagé sur des chantiers considérables de la ville, ce qui ne semble pas être le cas. ↑
- 89. Arch. dép. Seine-Maritime, G 2504, fol. 2v ; G 2515, fol. 17v, 59 ; G 7323, fol. 163v et G 9032, fol. 14. ↑
- 90. Arch. dép. Seine-Maritime, G 95, fol. 32. ↑