Actes du premier colloque international de l'association Verre et Histoire, Paris-La Défense / Versailles, 13-15 octobre 2005

Sophie LAGABRIELLE
Conservateur en chef, Musée national du Moyen Âge, Paris (France)

Les fenêtres des rois et des princes (xive-xve siècles)

Le coût du vitrage

Les frais de verre sont généralement évalués à partir du pied (carré), rarement basé sur le poids, souvent chiffré au « panneau de verre ».

1. Évaluation du coût au pied (carré) de verre

Les nombreux travaux entrepris par la comtesse d’Artois permettent d’estimer le coût du verre à vitre, évalué au pied – d’Arras – fourni et monté. Au début du xive siècle, le verre blanc revient à deux sous le pied (ainsi dans la chapelle d’Hesdin), le verre de couleur à trois ou quatre sous le pied. À titre de comparaison, deux sous correspondent au salaire d’une journée de travail d’un verrier en Normandie82, comme à celui d’un maître-maçon ou d’un charpentier en Artois83. Or, un demi-siècle après, le tarif du verre est de plus du double chez le duc de Bourgogne (1376) ; le verre monté est estimé à 4 gros le pied de verre au château de Montréal84. Au début xve siècle, il redescendrait à 4 sous le pied de verre (Louvre, 1364)85. En 1439, il est alors évalué à 6 sous 8 deniers (Hôtel de Nevers). De nouveau, à Gaillon, en 1507, il est estimé à 2 sous le pied de verre et, 4 sous le pied quand il est « bordé à grant bord de peinture»86 Peut-on justifier ces inflexions par la conjoncture économique ? Les prix ont-ils baissé une fois la Guerre de Cent Ans finie ? Nous préférons retenir que le marché du verre est sujet à des variations de prix, auxquelles s’ajoutent les subtilités de qualité : verre vieux, verre recuit ou verre neuf, verre blanc et verre de couleur, verre peint ou vigneté, sur lesquelles nous reviendrons.

∧  Haut de page2. Évaluation du coût au poids

Le verre s’achète au pied, son coût est rarement calculé au poids. Nous en avons cependant trouvé des mentions chez la comtesse d’Artois et chez le duc de Bourgogne. En 1304, Mahaut d’Artois doit à Maître Hoste, ou Othon d’Arras, 3 livres de « blanc voirre », soit 6 sous, ainsi que 2 livres de verre de couleur et 2 livres d’étain. Pourquoi, à cette occasion, le verre est-il évalué au poids ? Serait-ce un achat groupé fait au nom de la comtesse avec livraison directe au château ? De nouveau, en 1312, pour Hesdin, c’est au poids que maître Jacques propose son verre : un sou la livre de verre blanc, et 2 sous la livre de verre de couleur87. Sans doute dans ces deux cas, se procurer du verre directement a-t-il permis d’en abaisser le coût. L’ampleur des travaux au château d’Hesdin justifierait la livraison in situ des matériaux de construction. Le fait qu’en 1370, à Hesdin, un « four à cuire voirre » soit construit ne fait que confirmer l’importance des quantités de verre utilisées88.

Le verre est donc comptabilisé au poids chaque fois que l’importance des fournitures le justifie. En 1376, 927 livres et ½ de verre sont livrées « en garnison » à l’hôtel ducal de Dijon89. L’évaluation du coût se fait alors au « cent », soit 2 florins ½ le cent. Une prix basé sur le « cent » laisse entendre là encore un paiement plus ou moins direct au producteur de verre.

Les deux exemples cités représentent des cas exceptionnels d’achats de verre à prix coûtant, réalisés par certains clients dans le cadre de grosses commandes (travaux conséquents de construction, constitution de stocks de réserve). Nous n’en avons pas trouvé de témoignage après le xive siècle, à l’inverse, de l’évaluation faite au « panneau de verre ».

∧  Haut de page3. Le panneau de verre : ses dimensions, son coût

Le « panneau de verre » est parfois l’unique mention de quantité. Mais qu’entend-on par « panneau de verre » ? À quel genre de fenêtre est-il destiné et combien de verre contient-il ? Quelle est sa forme et répond-il à une surface type ? On apprend que le « panneau » peut être placé dans un « archet », ce qui suppose qu’il peut être cintré. Dans une fenêtre de la tour de Conflans, Jehan de Sées a placé vingt-sept panneaux de verre90, ce qui prouve que ceux-ci peuvent être superposés. Reste à savoir si la multiplication des « panneaux » de verre est liée à la généralisation des croisées91. En effet, la dimension des quatre compartiments de la fenêtre divisée en croix pourrait avoir orienté vers le format relativement standardisée des panneaux. La réalité semble plus complexe.

Tapisserie : détail de l'Ordination des premiers diacres

Fig. 7 : Fenêtre à deux tiers vitrée, porteuse d’un décor héraldique. Ordination des premiers diacres, Tenture de Saint Etienne pour la cathédrale d’Auxerre, Bruxelles, vers 1500, pièce de tapisserie, Paris, musée de Cluny, Cl. 20200 © RMN / Jean-Gilles Berizzi.

Si, chez Philippe le Hardi, le panneau fait un peu plus de trois pieds (1377)92 (fig. 7), chez le roi, il contient six pieds de verre (Le Louvre, 1364)93 ou sept pieds (Falaise, 1370)94. Au xive siècle, un grand nombre de mentions reprennent la surface de cinq pieds : « Jehan le verrier d’Arras, pour les verrieres du chastel de Beuvri refaire,... pour I penel de couleurs... (qui) contient larghement V piés » (1324)95. « A Jehan de Ses, voirrier de Paris, pour IIII petis paniaux de voirre vigneté, tenanz V pies et demie... » (1318)96, ou « à Phelippe le pointre, de Noiers … à la chapelle du château de Montbard (Bourgogne), ….deux panneaulx nuez (neufs), contenant 10 pieds », ce qui revient là encore à cinq pieds par panneau (1377)97. Qu’ils soient de 2 pieds sur 2 pieds et demi, ou même 2 pieds sur 3, ces dimensions ne reflètent, il est important de le souligner une fois encore, que de toutes petites surfaces98.

Pour le château d’Angers (1459), la lecture des Comptes nous apprend que les seize panneaux de fenestrages qui ont été commandés pour le roi René sont destinés à des croisées99. Une comparaison entre le coût du verre et celui des toiles nous est même offerte. Pour seize panneaux de toile pour croisées, qui ont été insérés au galetas du château d’Angers, le roi de Sicile dépense en effet 55 sols. Or la même année, le roi René verse 2 florins 6 gros, cette fois-ci, pour vitrer une fenêtre de son « retrait ». Si nos calculs sont bons, les frais de vitrage sont doubles de ceux de la toile. Ce calcul vaut si c’est le même nombre de jours (deux) qui, dans la croisée, a été occulté. Mais si l’on imagine que la toile a été insérée dans chacun des compartiments de la croisée (soit 4 fois), à l’inverse du verre placé dans les deux panneaux de l’imposte seulement, alors le coût du vitrage reviendrait non pas deux fois mais quatre fois plus cher que les toiles cirées.


  • 82.  Bibliothèque nationale de France, ms fr 25993, n° 270, fol. 7728 ; Maillard, op. cit. , p. 412.  ↑
  • 83.  Salaire versé durant les deux premières décennies du XIVe siècle, Richard, op. cit., p. 260.  ↑
  • 84.  Archives départementales de la Côte d’Or, B 5406, fol. 109 ; Prost, op. cit., p. 618. Les bases de calcul adoptées sont 1 sou = 12 deniers ; 1 gros = 12 deniers.  ↑
  • 85.  Berty, op. cit., p. 190.  ↑
  • 86.  Deville A., Collection de documents inédits sur l’histoire de France, Comptes de dépenses de la construction du château de Gaillon, Paris, 1851, p. 432, année 1508.  ↑
  • 87.  Archives départementales du Nord, A 297, Richard, op. cit., p. 299.  ↑
  • 88.  Ibid.., p. 3030, Archives départementales du Nord, A 736 (17 décembre 1370)  ↑
  • 89.  Archives départementales de la Côte d’Or, B 4423, fol. 10v° ; Prost, op. cit., p. 536, n° 2799.  ↑
  • 90.   Richard, op. cit., p. 303 (1308).  ↑
  • 91.  Voir Bernardi P., Métiers du bâtiment et techniques de construction à Aix-en-Provence à la fin de l’époque gothique (1400-1550), Aix-en-Provence, 1995.  ↑
  • 92.  “18 panneaux de verre comprennent 58 pieds de verre ou environ », soit en moyenne un peu plus de trois pieds le panneau (1377) ; Prost, op. cit., p. 600-601, n° 3177.  ↑
  • 93.  Berty, op. cit., p. 183, n° 15., p. 190, n° 60.  ↑
  • 94.  Nortier M., Documents normands du règne de Charles V conservés au département des manuscrits, 8 avril 1364-16 septembre 1380, et complément pour le règne de Jean II le Bon, Paris, 2000, p. 124, n° 520, le 17 février 1370, Bibliothèque nationale de France, ms fr. 260009, fol. 847, 848.  ↑
  • 95.  « Jehan le verrier d’Arras, pour les verrieres du chastel de Beuvri refaire, primes pour I penel de couleurs u quel me sires d’Artois est, contient larghement V piés, IIII s, pour chascun piet, XX s », 1324, Archives départementales du Nord, A 423, Richard, op. cit., p. 301.  ↑
  • 96.  Ibid., p. 303.  ↑
  • 97.  le 10 octobre 1377, Archives départementales de la Côte d’Or, B 1452, fol. 14 v°, Prost, op. cit., p. 608, n° 3212.  ↑
  • 98.  Dans la chapelle d’Hesdin, c’est 78 pieds de verre qui ont été nécessaires (Richard, op. cit., p. 300), des dimensions bien plus importantes que dans les autres pièces à vivre de la demeure.  ↑
  • 99.  Les toiles sont à répartir « en seze panneaux de fenestraiges de croisées qui sont ou galetas du chasteau d’Angiers », Archives nationales, P. 1334/7, fol. 81 v°, Lecoy de la Marche, op. cit., p. 14, n° 37.  ↑